Pourquoi la famille Arnault rachète massivement des actions LVMH

LVMH est en forte baisse. Pourquoi la famille Arnault investit-elle à contre-courant ? Tentative de soutien ou pari audacieux sur l’avenir ?

L’action LVMH traverse l’une des périodes les plus délicates de son histoire récente. À 474,90 euros au 15 août 2025, le titre accuse une baisse de 25,05 % depuis le début de l’année, et de près de 38 % sur douze mois glissants.

Dans ce contexte de défiance prolongée, la famille Arnault a intensifié ses rachats d’actions, via ses holdings Financière Agache et Christian Dior SE, parallèlement à un programme officiel d’un milliard d’euros lancé par le groupe lui-même. L’ampleur de ces interventions soulève une double question : que traduisent-elles sur l’état de LVMH ? Et peuvent-elles enrayer la dynamique baissière du marché ?

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LVMH : des fondamentaux en repli

Les résultats du premier semestre 2025 ont confirmé le ralentissement déjà perceptible fin 2024. Le chiffre d’affaires recule de 4 % en données publiées, à 39,8 milliards d’euros, et de 3 % en organique. Le deuxième trimestre s’inscrit dans une tendance plus marquée, avec une baisse organique de 4 % à 19,5 milliards d’euros, supérieure aux anticipations des analystes.

La division Mode & Maroquinerie, pilier du groupe, enregistre une baisse organique de 7 % sur le semestre, et de 9 % au deuxième trimestre. Son résultat opérationnel chute de 18 %, à 8,06 milliards d’euros. Les Vins et Spiritueux poursuivent leur déclin, avec un recul organique de 8 % et une rentabilité en baisse de 33 %. À l’inverse, la Distribution sélective, portée par Sephora, progresse de 2 % en organique et voit son résultat opérationnel bondir de 12 %. Les divisions Parfums & Cosmétiques ainsi que Montres & Joaillerie affichent une stabilité relative sur le chiffre d’affaires, mais une contraction de leur rentabilité respectivement de 4 % et 13 %.

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Dans ce tableau contrasté, la capacité du groupe à préserver sa marge opérationnelle de 22,6 % et à générer un cash-flow disponible de 4 milliards d’euros (+29 %) atteste d’une discipline financière intacte. Ce résultat s’explique en partie par le ralentissement des investissements immobiliers.

Pour autant, les investisseurs restent prudents. LVMH sous-performe nettement son secteur : –27,39 % sur un an contre –14 % pour les valeurs du luxe. Le titre évolue désormais dans une fourchette de 436,55 à 762,70 euros sur douze mois, loin du pic de 904,60 euros atteint en avril 2023. Les prévisions de bénéfices ont été ajustées à la baisse : 21,68 euros par action pour 2025 contre 25,12 en 2024. Le rebond attendu pour 2026 (24,04 euros) ne suffit pas à rassurer pleinement. Le PER 2025 s’établit à 21,28 fois les bénéfices, en deçà de la médiane historique du groupe, tandis que le rendement du dividende reste stable à 2,82 %.

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Famille Arnault : un soutien massif au bon moment

Face à cette pression persistante, LVMH a mis en place un programme de rachat d’actions d’un milliard d’euros, effectif du 24 février au 28 novembre 2025. L’objectif est double : soutenir le cours de Bourse et renforcer la structure capitalistique sans compromettre les investissements stratégiques. La solidité du bilan (dette nette de 10,2 milliards d’euros, cash-flow record) rend cette stratégie soutenable.

Mais c’est surtout l’intensification des rachats par la famille Arnault qui retient l’attention. Le 12 août, Financière Agache a acquis 22 100 actions à 453,92 euros l’unité. La veille, 10 933 titres avaient été achetés à 457,29 euros. Ces opérations, notifiées à l’AMF les 13 et 14 août, s’ajoutent à une vingtaine d’interventions similaires entre mars et juin, pour un montant cumulé dépassant 500 millions d’euros. Les achats récents convergent autour de la zone des 450–470 euros, construisant un plancher psychologique tacite sur le titre.

Ce double mouvement — institutionnel et familial — envoie un message stratégique clair. Il matérialise un alignement complet entre la direction du groupe et son actionnariat de contrôle, et s’appuie sur une lecture patrimoniale de la valorisation actuelle, jugée attractive après la correction amorcée fin 2023.

Un marché mondial difficilement lisible

La géographie offre des signaux contradictoires. En Chine, le deuxième trimestre a vu une amélioration sensible des ventes à la clientèle locale, contrastant avec les craintes initiales. Le succès du nouveau flagship Louis Vuitton à Shanghai renforce cette dynamique. En Europe, la progression est confirmée à périmètre comparable, tandis que les États-Unis affichent une stabilité soutenue par une demande domestique résiliente. Le recul au Japon, quant à lui, reflète surtout une normalisation après une année 2024 atypique, marquée par des achats touristiques boostés par la faiblesse du yen.

D’un point de vue sectoriel, la hiérarchie se redessine. Hermès surperforme et devient temporairement la première capitalisation du CAC 40, tandis que Kering traverse une crise profonde, avec un bénéfice net en chute de 62 % en 2024. Selon Bain & Company, le marché mondial du luxe pourrait connaître en 2025 ses plus fortes turbulences depuis 15 ans, avec un ralentissement de 2 à 5 % pour les articles de luxe personnels.

LVMH prépare l’avenir

Dans un contexte d’incertitude macroéconomique, LVMH mise sur l’innovation pour consolider ses positions. Le groupe a intensifié ses investissements dans l’intelligence artificielle : création d’une Data Academy pour la formation interne, déploiement de solutions de personnalisation avancée chez Sephora, et collaboration avec des start-ups prometteuses, notamment Kahoona, Genesis et Omi, distinguées lors des LVMH Innovation Awards 2025.

Sur le plan créatif, la nomination de Jonathan Anderson comme directeur artistique unique de Dior — supervisant à la fois les collections homme, femme et haute couture — est perçue comme un catalyseur potentiellement fort, avec une première collection très attendue dès juin 2025. Enfin, le groupe poursuit une stratégie d’expansion ciblée vers des zones à forte croissance future : Amérique latine, Inde, Asie du Sud-Est, Afrique. Ces régions pourraient concentrer plus de 50 millions de consommateurs de luxe additionnels dans les cinq prochaines années.

Quel horizon pour les investisseurs ?

Plusieurs analystes entrevoient une amélioration dès le troisième trimestre 2025, de manière progressive, avant une reprise plus marquée en 2026. Les tensions commerciales avec les États-Unis (droits de douane potentiels à 15 %) sont jugées maîtrisables, grâce au pouvoir de fixation des prix des grandes marques du portefeuille.

La multiplication des rachats, bien que symboliquement forte, n’a pas inversé la tendance. Mais elle a permis de poser un seuil de soutien crédible, qui limite les risques de glissement supplémentaire. Cette stabilisation pourrait s’avérer décisive si des signaux de reprise se confirment, notamment en Chine et dans le travel retail.

Pour les investisseurs, la prudence reste de mise à court terme. Une approche graduelle, avec des renforcements ciblés en cas de faiblesse persistante du cours, semble pertinente. Sur un horizon de 12 à 24 mois, la qualité intrinsèque de LVMH — ses marques, sa capacité d’innovation, sa gestion financière rigoureuse et le soutien visible de l’actionnariat — en fait toujours un actif de référence pour les portefeuilles à visée patrimoniale. Le consensus médian des analystes fixe un objectif de cours à 552,31 euros, soit un potentiel de hausse de 16,7 % par rapport au niveau actuel.



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