C’est l’histoire d’un projet qui sent bon l’époque : des vagues artificielles, du surf calibré, une écologie « optimisée » sur PowerPoint… et un terrain à 50 kilomètres de l’océan. À Canéjan, en Gironde, quatre entrepreneurs promettent l’eldorado aquatique : un surf park alimenté par la pluie, pour 250 000 visiteurs par an. Pendant ce temps, les écologistes parlent de fumisterie. Qui croire ? Peut-être surtout : que révèle ce projet ?
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Car il y a là bien plus qu’une piscine à vagues. C’est un concentré des paradoxes français. Une économie de loisirs toujours plus sophistiquée, dans un monde toujours plus contraint. Une innovation technique déconnectée de la réalité climatique. Un projet privé porté par des figures de l’entre-soi, sur fond de promesses technologiques et de storytelling olympique. Le tout habillé d’un vernis vert. Le XXIe siècle en miniature.
La perfection sur commande
Le surf park, c’est d’abord la victoire du contrôle sur l’aléa. Finie l’attente du bon swell. Ici, les vagues sortent à la minute, générées par des volets mécaniques, calibrées selon le niveau du client. On promet la vague parfaite, à n’importe quel moment de l’année — à condition de payer.
On retrouve cette logique un peu partout : dans l’agriculture sous serre, dans les stades climatisés, dans les stations de ski qui survivent sous canon à neige. L’homme moderne n’accepte plus l’imprévu. Il le modélise, l’enferme, le redémarre à volonté. Mais la nature, elle, continue de vivre à ses rythmes.
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Officiellement, le parc sera alimenté « exclusivement par la pluie ». Le problème, c’est que la pluie, elle, n’a pas signé. Entre les modèles optimistes des promoteurs et les prévisions indépendantes, un fossé s’ouvre. Le rapport d’un chercheur de l’Inrae montre que les pertes par évaporation dépasseront les apports sur plusieurs années. L’expert judiciaire nommé par la justice dit la même chose : autosuffisance ? Très imprudente, la conclusion.
Et derrière le volume, le symbole. Est-il raisonnable de consommer 20 millions de litres d’eau dans un territoire déjà sous tension hydrique ? Alors que les préfets prennent des arrêtés restreignant l’arrosage des potagers, peut-on décemment remplir deux bassins pour quelques surfeurs en quête de régularité ? Le problème n’est pas seulement quantitatif. Il est moral.
La nature en prime victime
L’eau, ce n’est qu’un début. L’autre point noir, c’est la rivière de la Bourde, à quelques dizaines de mètres du site. Elle abrite des espèces protégées, menacées par les vidanges périodiques des bassins. Produits chimiques, microplastiques, résidus divers : l’univers aseptisé du surf industriel risque de contaminer ce fragment de biodiversité.
Là encore, le projet incarne une tension classique : l’extension des infrastructures de loisirs se fait toujours au détriment des espaces non marchands. Il faut du calme pour les loutres, mais de l’eau pour les surfeurs. Et dans un monde fini, il faudra choisir.
Des vagues pour qui ?
Car il ne faut pas se tromper de cible : ce surf park ne s’adresse pas aux jeunes en quête d’un moment de liberté. Avec des sessions entre 35 et 70 euros, il vise un public aisé. Le surf populaire, celui qui loue une planche sur la plage à la journée, n’a pas sa place ici. L’accès à la vague, autrefois gratuit mais capricieux, devient payant, régulier… et sélectif.
Plus encore : selon une étude de l’industrie elle-même, 31 % des visiteurs de surf parks prennent l’avion pour s’y rendre. L’argument écologique — « éviter les trajets vers la mer » — s’effondre. On ne réduit pas l’empreinte carbone avec des avions, même remplis de surfeurs enthousiastes.
Certains défendent le projet au nom du prestige sportif. Le surf est devenu discipline olympique. La France doit rester une nation majeure. Très bien. Mais quelle est la limite ? Une médaille vaut-elle une rivière polluée ? Une génération d’athlètes justifie-t-elle de vider les nappes phréatiques ? On dirait un pari d’un autre âge. Comme si la transition écologique pouvait attendre le podium.
Très bon article, très bien écrit, merci