Résumé Résumé
Le modèle Shein est une incontestable réussite économique. Et une faillite morale totale. Une enquête d’ActionAid France et China Labor Watch vient de remettre un peu de lumière sur les coulisses de cette machine à vêtements ultra-rapide. Résultat : des centaines d’ateliers informels, des droits sociaux réduits en miettes et un système de production organisé pour faire disparaître les travailleurs dès que leur utilité faiblit.
Shein vend des robes à 6 euros et renouvelle son catalogue plus vite qu’un fil TikTok : jusqu’à 50 000 nouveaux articles par jour. Ce n’est pas une prouesse technologique. C’est une prouesse sociale inversée. Elle repose sur une armée de travailleurs invisibles, migrants sans droit de cité à Guangzhou, condamnés à s’entasser dans des immeubles-tiroirs, les fameux « bâtiments poignée de main », à travailler jour et nuit dans des ateliers dissimulés dans les interstices de la chaîne d’approvisionnement.
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Une chaîne de production opaque et incontrôlable
Shein n’est pas une entreprise textile. C’est une entreprise de données. Les vêtements ne sont que la matière première d’une stratégie algorithmique qui évalue la demande en temps réel, teste des micro-lots, et active à la volée des milliers de bras pour suivre la courbe du clic. C’est Amazon à la minute, sans les entrepôts climatisés.
Le secret du modèle ? Une production déléguée, fractionnée, illisible. Quand les usines sous contrat officiel saturent, les commandes affluent vers une nébuleuse d’ateliers non déclarés. Shein ne les connaît pas, donc ne les contrôle pas. Ou plutôt : fait mine de ne pas les connaître. La déresponsabilisation est devenue une ligne de business.
Le mot n’est pas de trop. L’enquête révèle une logique industrielle qui prémédite l’épuisement. Rémunération à la pièce, aucune protection sociale, travail non rémunéré pour les femmes, violences sexistes… Le tout dans un cadre où les corps se jettent contre l’urgence du clic, au rythme de l’IA. Certaines ouvrières ne sont même pas payées en tant que personnes, mais en tant que couple – payé une fois pour deux. On appelle cela une ligne comptable. En langage humain, c’est de l’exploitation brute.
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Et pendant ce temps-là, Shein déroule un storytelling impeccable. L’entreprise se dit « engagée », « durable », « respectueuse des droits ». Elle vient pourtant d’être sanctionnée pour écoblanchiment : 1 million d’euros d’amende pour avoir vanté une baisse d’émissions de gaz à effet de serre… qui, en réalité, ont augmenté de 23% en un an. Si Shein était un pays, rappelle une ONG, ce serait le 100e plus gros émetteur de CO₂ au monde.
Une régulation politique largement inefficace
Face à cela, la réponse politique est, pour l’instant, un exercice de prestidigitation. La France a bien tenté une loi anti-fast fashion. Elle a été vidée de sa substance au Sénat. L’Europe a accouché d’une directive sur le devoir de vigilance, immédiatement sabordée sous la pression des lobbies. Résultat : des ONG qui enquêtent, des consommateurs qui dénoncent, et des gouvernements qui tergiversent.
La vérité, c’est que le système adore Shein. Il adore son efficacité, sa capacité à monétiser la pulsion, à transformer chaque regard en commande et chaque tendance en produit rentable. Le reste – droits humains, climat, dignité – est relégué au rang d’externalité.