Ursula von der Leyen est-elle en train de devenir, bien malgré elle, le meilleur agent électoral de droite européenne ? À force de concessions, d’atermoiements et d’alignements hasardeux, la Commission européenne agit désormais comme un accélérateur politique pour les droites radicales, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe. L’accord arraché par Washington sur les droits de douane, signé dans l’écrin improbable d’un golf écossais, n’est que le dernier épisode d’une série de reculs stratégiques dont l’effet cumulatif devient difficile à ignorer.
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Le jour où l’Europe a capitulé devant Trump
Un accord douanier symbolique de la faiblesse européenne
Car ce que Trump présente comme une victoire commerciale est surtout une défaite symbolique pour l’Union. Bruxelles autorise les États-Unis à taxer à 15 % certaines exportations européennes — sans contrepartie réelle. Ce n’est pas un deal, c’est une reddition, maquillée en « compromis équilibré ». De quoi nourrir l’appétit narratif des figures de l’extrême droite européenne : de Viktor Orbán (Hongrie) à Giorgia Meloni (Italie), en passant par Santiago Abascal (Espagne) ou Alice Weidel (Allemagne), tous saluent la vigueur de l’homme fort américain face à une Europe jugée molle, technocratique et inefficace.
Ce glissement n’est pas fortuit. Il s’inscrit dans une transformation plus vaste que plusieurs analystes, Ivan Krastev et Mark Leonard en tête, qualifient de réalignement géopolitique. Trump offre à la droite radicale européenne un modèle, une méthode, une légitimation. Il incarne ce que ses relais appellent désormais la seconde révolution américaine : retour au protectionnisme, remise en cause de l’État de droit, exaltation identitaire. Et pendant que l’Union regarde ailleurs, ses fondements s’effritent.
Comment Bruxelles nourrit la rhétorique populiste
Pire : à chaque recul, Bruxelles affaiblit sa propre capacité à imposer des normes, à défendre un cadre multilatéral, à exiger de ses membres le respect des principes qu’elle proclame. En acceptant le chantage douanier américain, en minimisant les atteintes aux droits internationaux ou en restant silencieuse face aux violations commises au Proche-Orient, l’UE envoie un message limpide : il est désormais possible de contourner les règles du jeu — et même d’être récompensé pour cela.
Il ne faut pas s’y tromper. Les tarifs douaniers imposés par Washington sont peut-être anecdotiques sur le plan économique — ils le sont sans doute —, mais ils sont lourds de conséquences politiques. Ils servent de test. Ils posent une question simple : l’Europe est-elle encore capable de défendre son autonomie stratégique ? Ou va-t-elle continuer à naviguer à vue, espérant que la tempête trumpienne se calme d’elle-même ?
Car l’histoire récente montre que les électeurs, eux, ne l’attendent pas. En 2017, l’élection de Trump avait provoqué un sursaut en Europe, un réflexe de défense du projet européen. Mais ce réflexe s’est émoussé. Aujourd’hui, les sondages montrent un pessimisme profond : en Allemagne, 77 % des citoyens estiment que la société est « brisée ». En France, 75 % pensent que leur pays est « en déclin ». Et partout, la tentation autoritaire progresse. À trop céder à Trump, Bruxelles pourrait perdre bien plus qu’un bras de fer commercial : elle risque de perdre son âme politique.
Un risque stratégique : la légitimation de l’autoritarisme
L’erreur de Von der Leyen n’est pas d’avoir voulu désamorcer le conflit. C’est d’avoir confondu désescalade et capitulation. Espérer apaiser le trumpisme par des concessions, c’est croire que l’on peut domestiquer une logique de confrontation par la flatterie. Mais Trump, comme ses émules européens, ne cherche pas l’équilibre. Il cherche à déstabiliser. Il prospère sur l’aveu de faiblesse.
Dans ce contexte, chaque recul est une avancée stratégique pour ses adversaires. À force de compromis sans contreparties, l’Union donne des gages à ceux qui veulent sa marginalisation. Et si demain, un Orbán ou une Le Pen (ou un Bardella) s’installe au cœur de l’Europe politique, il ne faudra pas chercher bien loin les raisons de ce basculement.