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Créateur du phénomène Fortnite, Tim Sweeney ne se contente pas de coder des jeux à succès. Depuis 2020, il mène un combat acharné contre les géants du numérique, Apple et Google, qu’il accuse d’étouffer l’innovation. En juillet 2025, il remporte une victoire historique contre Google. Portrait d’un entrepreneur qui a choisi de défier les règles du jeu.
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De programmeur solitaire à magnat du jeu vidéo
Né en 1970 dans le Maryland, Tim Sweeney n’a rien d’un héritier de la Silicon Valley. Fils d’un cartographe employé par l’administration fédérale, il découvre l’informatique à l’âge de onze ans lors d’un séjour chez son frère en Californie. De retour chez lui, il consacre l’essentiel de son adolescence à l’apprentissage autodidacte de la programmation, développant des dizaines de jeux sans les diffuser.
Il crée son premier jeu commercial, ZZT, à la fin de ses études. Avec ce titre en mode texte doté d’un langage de programmation interne, il inaugure une philosophie : l’utilisateur n’est pas un simple joueur, mais un créateur potentiel. Ce principe traversera toute sa carrière. En 1991, il fonde Epic Games, développe le moteur Unreal Engine, puis sort le jeu Fortnite, qui attire plus de 350 millions de joueurs à son apogée.
Sweeney s’est toujours méfié des systèmes fermés. Alors que le marché du jeu vidéo s’oriente vers des modèles propriétaires, il construit des outils conçus pour être modulables, accessibles et puissants. Le moteur Unreal, utilisé dans des milliers de productions à travers le monde, repose sur une logique d’ouverture. C’est aussi cette vision qui guide sa stratégie commerciale : avec Fortnite, il adopte très tôt un modèle économique « freemium », opposé aux standards imposés par les plateformes dominantes.
Derrière les choix techniques et commerciaux, une conviction demeure : les écosystèmes numériques doivent rester ouverts. Cette idée deviendra le socle d’un conflit majeur avec les géants du mobile.
Le modèle fermé des stores mobiles
À mesure que les smartphones deviennent la principale porte d’accès au numérique, Apple et Google verrouillent l’accès à leurs boutiques d’applications. Pour être distribué sur iOS ou Android, un logiciel doit passer par leurs plateformes officielles — App Store ou Google Play — et se conformer à leurs conditions : commission obligatoire de 30 %, contrôle strict des paiements, interdiction d’utiliser d’autres canaux de distribution.
Sweeney considère ce système comme un obstacle à l’innovation. Il dénonce une rente imposée par deux acteurs hégémoniques, qu’il accuse d’étouffer toute concurrence. À ses yeux, le monopole des stores mobiles menace la diversité des services et la liberté des développeurs.
Le 13 août 2020, Epic Games intègre dans Fortnite un système de paiement direct, contournant les dispositifs d’Apple et de Google. Les joueurs sont invités à acheter leur contenu avec une réduction de 20 % s’ils utilisent cette solution alternative. Apple et Google réagissent immédiatement : Fortnite est retiré de leurs plateformes.
Epic avait anticipé cette réaction. Le même jour, l’entreprise engage des poursuites judiciaires et lance une campagne de communication offensive. Elle diffuse notamment une parodie de la célèbre publicité « 1984 » d’Apple, dénonçant le contrôle exercé par les géants du numérique. Ce geste marque le début d’un affrontement long et stratégique.
Une stratégie juridique mondiale
Le conflit entre Epic et les plateformes prend rapidement une dimension internationale. Aux États-Unis, l’entreprise engage une procédure antitrust contre Apple et Google. Elle saisit également les autorités de régulation européennes, s’appuyant notamment sur le Digital Markets Act pour contourner les restrictions imposées à l’App Store dans l’Union européenne.
La stratégie d’Epic repose sur un principe simple : contraindre les plateformes à ouvrir leurs systèmes, par voie judiciaire s’il le faut. Le combat est risqué. L’entreprise renonce à plusieurs milliards de dollars de chiffre d’affaires potentiel en refusant de se soumettre aux conditions des stores. Mais pour Sweeney, le coût est justifié. Il ne s’agit pas seulement de défendre les intérêts d’Epic, mais de poser les bases d’un marché plus équitable.
Le 31 juillet 2025, la cour d’appel fédérale du neuvième circuit confirme un jugement de première instance rendu en 2023 : le Google Play Store constitue un monopole illégal. Cette décision oblige Google à ouvrir son écosystème à la concurrence, au moins pour une période de trois ans.
Concrètement, Google doit permettre l’intégration de systèmes de paiement alternatifs, autoriser la distribution d’autres boutiques d’applications depuis le Play Store, cesser les accords d’exclusivité et rendre ses outils accessibles aux concurrents. Il lui est également interdit de rémunérer les fabricants de téléphones pour empêcher l’installation d’alternatives.
La réaction de Google est immédiate. L’entreprise annonce son intention de saisir la Cour suprême et dénonce une décision qui, selon elle, « compromet la sécurité des utilisateurs et freine l’innovation ». Mais en attendant une éventuelle révision, les obligations s’appliquent. L’Epic Games Store pour Android sera disponible prochainement sur le Play Store, comme l’a confirmé Tim Sweeney dès l’annonce du verdict.
Un affrontement ouvert avec Apple
Si la bataille contre Google a débouché sur une décision judiciaire contraignante, le rapport de force avec Apple demeure plus incertain. Aux États-Unis, la Cour suprême a refusé en janvier 2024 de relancer le dossier, mais une juge fédérale a néanmoins reconnu, en mai 2025, le caractère anticoncurrentiel de certaines pratiques de l’entreprise à la pomme.
En Europe, Epic a pu contourner les restrictions de l’App Store grâce au cadre juridique du Digital Markets Act. Le 21 mai 2025, Fortnite a fait son retour sur l’App Store américain après cinq années d’absence. Ce retour marque une étape importante, mais les conditions imposées par Apple restent largement en débat.
Un milliardaire discret, mais déterminé
Tim Sweeney n’a pas le profil classique de l’entrepreneur médiatique. Peu enclin à se mettre en scène, il communique rarement, refuse les plateaux de télévision, et privilégie les échanges directs avec les développeurs. Pourtant, son influence est considérable. Sa participation majoritaire dans Epic Games lui assure le contrôle stratégique de l’entreprise, malgré la présence d’actionnaires comme Tencent, Sony ou Disney.
La victoire judiciaire de juillet 2025 contre Google constitue un précédent majeur. Pour la première fois, une cour américaine impose à un acteur dominant de réformer en profondeur l’accès à son écosystème mobile. Cette décision pourrait servir de référence à d’autres entreprises ou juridictions dans le monde.