C’est une nouvelle page de l’histoire industrielle européenne qui se tourne. Iveco (conglomérat Fiat), va passer sous pavillon indien. Tata Motors, déjà maître de Jaguar Land Rover, s’apprête à ajouter camions, autobus et moteurs à son escarcelle. Ne restera aux Italiens que la maigre division Défense, reprise à la hâte par Leonardo, sous pression directe du gouvernement Meloni. L’Italie sauve les blindés, mais cède tout le reste.
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Ce mercredi, l’annonce officielle est tombée : Tata débourse 3,8 milliards pour s’offrir ce qui reste d’un groupe qui pesait encore 15,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires l’an dernier. Les poids lourds, les bus, les transmissions : tout s’apprête à quitter l’Europe sous les applaudissements résignés d’Exor, la holding des Agnelli, qui cède au passage ses 27 %.
L’Europe cède ses outils, ses talents et ses marques
Tata Motors, qui a longtemps carburé au diesel de la croissance indienne, vient chercher en Europe ce qui lui manque : savoir-faire, image, technologie. L’opération offre au groupe indien des centres de R&D, des usines modernes, et une position stratégique sur le marché européen du transport durable. Ce n’est pas une délocalisation mais une translation : l’Europe vend ses outils, ses talents et ses marques à ceux qui veulent encore croire à l’industrie lourde.
En France, c’est la grande usine d’Annonay qui risque d’en sentir les premiers effets. Ancienne fierté d’Irisbus, ce site – avec Rorthais et Bourbon-Lancy – alimente le réseau francilien en bus propres. Le constructeur italien est aujourd’hui le fournisseur principal d’Île-de-France Mobilités. Jusqu’à quand ? La déroute de Nikola Motors, partenaire américain choisi pour l’électrification des camions, avait déjà fragilisé les ambitions technologiques d’Iveco. L’adossement à un groupe global pourrait remettre les projets à plat – ou les faire redémarrer.
Un lent éclatement européen
Iveco est né d’une ambition européenne, celle de regrouper des constructeurs dispersés au moment de l’émergence du marché commun. Magirus, OM, Fiat-Unic, Lancia – tout cela tenait ensemble dans l’écosystème Fiat. Puis la déconstruction s’est enclenchée : Fiat Industrial, CNH, scissions boursières, recentrages stratégiques. L’ultime acte se joue aujourd’hui, avec une revente quasi complète. L’Europe industrielle, qui avait su bâtir des champions continentaux, les laisse s’évaporer.
L’an dernier, la marge opérationnelle d’Iveco dans les poids lourds frôlait les 5,6 %. Correct, mais insuffisant pour séduire un actionnaire aussi exigeant qu’Exor. Seule la Défense (10 %) offrait un matelas confortable. Mais cette activité stratégique ne pouvait, par essence, rester dans des mains non italiennes. D’où cette vente forcée à Leonardo. Pour le reste, le verdict est simple : mieux vaut vendre que miser encore. Iveco ne meurt pas, mais change de monde. Il quitte le vieux continent – et avec lui, un certain rêve industriel européen.