La nouvelle guerre du football français

Une guerre totale : c’est dans une ambiance surréaliste la Ligue de football professionnel (LFP) s’apprête à lancer sa propre chaîne, Ligue 1+ , destinée à diffuser les rencontres de Ligue1. Abandonnée par Canal+ et beIN Sports, ses partenaires historiques, la Ligue se retrouve seule pour porter son projet. Et en face, la riposte est brutale. Blocage de la distribution, guerre des talents, pressions commerciales, lettres ouvertes : tous les coups sont désormais permis pour freiner — voire faire échouer — ce nouveau venu sur le marché audiovisuel. À moins de trois semaines du lancement, la bataille est ouverte, sans pitié.

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Accord avorté entre Canal+ et la LFP

Au printemps, les échanges s’accélèrent entre la LFP et Canal+ pour imaginer une forme de rapprochement autour du futur projet Ligue 1+. À ce moment-là, l’option d’une gestion exclusive de la distribution par Canal+ semble envisageable. Mais les discussions s’enlisent rapidement. Fin juin, Maxime Saada, président du groupe Canal+, enterre publiquement tout espoir d’accord. « Canal+ jette l’éponge ! », affirme-t-il dans L’Équipe, évoquant des positions trop éloignées pour construire un partenariat viable.

L’échec est d’autant plus marquant qu’il survient à contretemps : quelques jours plus tôt, Nicolas de Tavernost, directeur de LFP Media, la filiale commerciale de la Ligue, annonçait encore aux clubs qu’une rencontre avec Saada était imminente. La rupture est désormais consommée. Même une distribution non exclusive de la future plateforme est rejetée par Canal+.

Canal+ ferme la porte et verrouille l’accès

Pour LFP Media, ce refus est incompréhensible. D’autant que selon ses calculs, une collaboration avec Canal+ pourrait rapporter au groupe audiovisuel plus de 30 millions d’euros de commissions dès le premier million d’abonnés. Mais Saada campe sur ses positions. Canal+ estime avoir été lésé lors du dernier cycle de droits (2021–2024), lorsque la LFP a attribué 80 % des matches de Ligue 1 à Amazon pour 250 millions d’euros par an, tout en maintenant son contrat avec Canal+ à 332 millions d’euros pour seulement deux rencontres hebdomadaires. Depuis, la chaîne cryptée estime ne rien devoir à la LFP.

En interne, Canal+ fait savoir que l’absence de Ligue 1 dans son catalogue ne l’a pas pénalisée. Elle revendique même, pour l’année 2024, sa meilleure croissance d’abonnés en France depuis 15 ans, alors qu’elle a cessé de diffuser la L1 dès le mois de mai. Cette dynamique alimente sa stratégie : se passer totalement de Ligue 1+ tout en valorisant au maximum les quelques affiches qu’elle conserve grâce à son accord de distribution avec beIN Sports.

beIN Sports muscle son jeu

Dans cette bataille, beIN Sports, diffuseur franco-qatarien, adopte une ligne de conduite similaire à celle de Canal+. Proche du groupe crypté, avec qui il partage les revenus de distribution (250 millions d’euros annuels jusqu’en 2030), beIN refuse pour l’instant de commercialiser la nouvelle chaîne de la LFP sur ses supports. Il réclame d’abord la levée de certaines contraintes éditoriales, notamment la possibilité d’alterner le premier et le deuxième choix de match une semaine sur deux. L’objectif est clair : pouvoir diffuser plus souvent le PSG ou l’OM, et ainsi maximiser l’attractivité de son antenne.

La stratégie est double : améliorer l’offre propre de beIN Sports, tout en réduisant le potentiel d’appel de Ligue 1+. Pour appuyer sa position, le groupe a annoncé qu’il proposerait gratuitement sa chaîne à une partie des abonnés de Canal+ jusqu’en juillet 2026. Une manière de consolider son audience tout en affaiblissant celle de son nouveau concurrent.

Une riposte coordonnée contre le projet de la LFP

Le ton monte. Dans un courrier révélé par L’Équipe, Yousef Al-Obaidly, patron de beIN Media Group, fustige la posture de la LFP. Il critique la gestion passée des droits audiovisuels et appelle à préserver ce qu’il considère comme la dernière relation de diffusion domestique crédible. Il conditionne toute évolution à un geste concret : le paiement des 20 millions d’euros liés au sponsoring de Visit Qatar, toujours en suspens.

Dans le même temps, la chaîne cryptée met en œuvre une stratégie de verrouillage des ressources humaines. Plusieurs personnalités approchées par LFP Media pour rejoindre la nouvelle chaîne ont été retenues par Canal+. Des rédacteurs en chef aux consultants les plus visibles, tous ont été invités à prolonger leurs contrats. Samir Nasri, figure centrale des soirées de Ligue des champions sur Canal+, avait ainsi reçu une proposition conjointe de Ligue 1+ et RMC. Canal+ a tout fait pour le convaincre de rester, et a obtenu sa signature jusqu’en 2029. Un signal fort envoyé à la LFP.

Une chaîne à construire dans un contexte d’hostilité

Face à ce double front, LFP Media doit lancer Ligue 1+ dans un isolement quasi-total. La chaîne, qui proposera huit matches de Ligue 1 par journée dès le 15 août, s’apprête à entamer une campagne publicitaire cruciale. Son modèle économique repose intégralement sur le nombre d’abonnés qu’elle parviendra à séduire : 14,99 euros par mois avec engagement, 19,99 euros sans.

Mais à ce jour, elle ne bénéficie ni du soutien des grands distributeurs historiques, ni d’un appui médiatique massif. La volonté de bâtir une indépendance audiovisuelle s’accompagne donc de fragilités structurelles. LFP Media parie sur une adhésion directe du public et sur sa capacité à incarner une nouvelle ère du football français.



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