Stellantis et Renault peuvent-ils disparaître ?

Pertes records, fermetures d’usines, fuite des compétences : Stellantis et Renault affrontent la plus grave crise de leur histoire. Jusqu’à quand ?

Les deux groupes automobiles français traversent une période de turbulence majeure. Chiffres financiers dégradés, pertes historiques, pression réglementaire croissante, offensive des constructeurs chinois : autant de signaux faibles et forts qui convergent vers un scénario autrefois impensable. Stellantis et Renault, piliers de l’industrie nationale, peuvent-ils réellement disparaître ? L’hypothèse ne relève plus de la fiction.

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Des résultats financiers alarmants

Pour Stellantis, le choc est brutal. Le groupe a enregistré une perte nette de 2,3 milliards d’euros au premier semestre 2025, contre un bénéfice de 5,6 milliards un an plus tôt. C’est la première fois depuis la fusion de PSA et FCA que l’entreprise bascule dans le rouge. Le chiffre d’affaires s’est contracté de 13 %, tombant à 74,3 milliards d’euros. La marge opérationnelle, autrefois solide, s’est effondrée à 0,7 %, contre 10 % en 2024.

Le résultat opérationnel courant n’atteint que 0,5 milliard d’euros. À cela s’ajoutent 3,3 milliards d’euros de charges exceptionnelles, comprenant l’abandon du programme hydrogène, des dépréciations d’actifs et des coûts de restructuration. Le free cash flow industriel plonge à -3 milliards d’euros, et les flux de trésorerie opérationnels sont également négatifs. Une dynamique financière qui remet en cause la capacité du groupe à investir, voire à tenir ses engagements à moyen terme.

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Renault, de son côté, évite pour l’instant la spirale du rouge, mais alerte lui aussi. L’émission d’un profit warning en juillet 2025 a marqué une rupture dans la communication du constructeur, généralement plus discret sur ses perspectives. Si le chiffre d’affaires affiche une légère hausse de 2,5 %, la marge opérationnelle chute de 8,1 % à 6 %. Le free cash flow, estimé initialement à 2 milliards d’euros pour l’année, ne s’élève qu’à 47 millions d’euros au premier semestre. L’annonce de la sortie de Nissan des comptes consolide une perte comptable de 9,5 milliards d’euros, symbolisant l’échec d’une alliance stratégique majeure.

L’implosion du marché français

À la fragilité des groupes s’ajoute la dégradation continue du marché intérieur. Sur les cinq premiers mois de 2025, les immatriculations en France ont chuté de 8,25 %, soit plus de 70 000 véhicules de moins qu’en 2024. En mai, la baisse atteignait 12,3 %. Le marché français décroche nettement par rapport à la moyenne européenne, dont le recul reste limité à 0,6 %.

Dans ce contexte, les consommateurs se tournent massivement vers le marché de l’occasion, en hausse de 0,7 % au premier semestre, alors même que les ventes de véhicules électriques chutent de 6,4 %. Contrairement à l’Allemagne ou la Belgique, où le segment électrique progresse, la France peine à maintenir sa dynamique, plombée par la suppression des aides et l’augmentation des coûts liés à l’électricité.

Une pression concurrentielle sans précédent venue de Chine

La situation est d’autant plus critique que les concurrents chinois accélèrent leur implantation. BYD, en particulier, déploie une stratégie industrielle offensive : une usine en Hongrie opérationnelle fin 2025, une seconde en Turquie dès 2026, et une troisième en projet. Sa capacité de production pourrait atteindre 500 000 véhicules par an en Europe, soit l’équivalent de deux constructeurs de taille moyenne.

L’avance technologique et industrielle de BYD repose sur une intégration verticale poussée : batteries, électronique, plateformes, tout est maîtrisé en interne. En avril 2025, le groupe a dépassé Tesla en ventes de véhicules électriques sur le marché européen. Une première symbolique, mais révélatrice du basculement en cours. Les marges dégagées par BYD lui permettent de proposer des véhicules compétitifs, tout en maintenant un niveau d’investissement élevé. Une équation que les constructeurs européens peinent à résoudre.

La transition électrique : un piège mortel

La stratégie de transition vers l’électrique, pourtant soutenue par les institutions européennes, se révèle aujourd’hui déséquilibrée. Les objectifs fixés (22 à 25 % de véhicules électriques dès 2025, 100 % en 2035) sont loin d’être atteints : la part de marché des électriques en Europe n’est que de 17,5 %. Face à une demande insuffisante, les constructeurs sont confrontés à un dilemme : vendre à perte ou subir des amendes pouvant atteindre 15 milliards d’euros.

Stellantis a déjà reculé sur plusieurs de ses engagements : abandon du « tout électrique en 2030 », report du lancement de certains modèles, révision des plans de ses marques nord-américaines. Renault, malgré son avance historique avec la Zoé, ne parvient pas à rentabiliser ses modèles actuels. Les coûts de transition, estimés à 17,5 milliards d’euros sur cinq ans pour la seule filière française, pèsent lourdement sur la capacité d’adaptation des constructeurs.

Au-delà des sièges sociaux, c’est l’ensemble du tissu industriel qui est secoué par la tempete. Plusieurs sites de production sont directement menacés : Poissy, La Janais, Douvrin. Chez les sous-traitants, la saignée est déjà engagée : 182 sites industriels fermés entre 2023 et 2024, 100 000 emplois détruits en dix ans. Les équipementiers comme Valeo, Forvia ou Michelin annoncent des restructurations de grande ampleur.

Cette désindustrialisation, concentrée dans des régions entières (Bourgogne-Franche-Comté, Hauts-de-France), compromet la capacité de rebond à moyen terme. La perte de compétences et de savoir-faire affaiblit l’ensemble de la chaîne de valeur automobile, avec des effets durables sur l’emploi et la souveraineté industrielle.

Une guerre commerciale asymétrique

La situation est aggravée par une instabilité géopolitique croissante. Aux États-Unis, les droits de douane imposés par l’administration Trump ont entraîné un coût direct de 300 millions d’euros pour Stellantis au premier semestre 2025, avec une projection de 1,5 milliard d’euros sur l’année. L’Europe, de son côté, a répliqué aux importations chinoises par une augmentation des droits, provoquant des représailles commerciales.

Les constructeurs européens se retrouvent pris entre deux feux : exclus partiellement du marché américain, menacés sur leur propre sol, et vulnérables aux représailles en Chine, où plusieurs groupes sont implantés. En face, les industriels chinois bénéficient de subventions massives, d’un soutien étatique coordonné et d’un marché intérieur protégé. Une asymétrie structurelle qui fragilise les équilibres économiques de l’industrie européenne.

Deux ans pour éviter l’effacement

Les analystes s’accordent : la fenêtre de transformation ne dépasse pas deux ans. Passé ce délai, la dégradation financière, la montée en puissance des concurrents, et le durcissement réglementaire rendront tout redressement structurel quasiment impossible. Déjà, Stellantis brûle 3 milliards d’euros de cash flow en six mois. Sa capacité d’endettement diminue, et la confiance des marchés s’effrite.

Face à cette urgence, plusieurs scénarios sont évoqués : fusion Renault-Stellantis, consolidation sectorielle, alliances technologiques ou rachat par des groupes étrangers. Mais aucun ne garantit un sauvetage. La complexité opérationnelle, les obstacles politiques et sociaux, et les délais nécessaires rendent ces solutions hypothétiques.

La disparition pure et simple des deux groupes, ou leur transformation en simples assembleurs de modèles asiatiques, n’est plus une perspective lointaine. L’industrie automobile française pourrait suivre le chemin de l’électronique ou du textile, secteurs naguère stratégiques, aujourd’hui disparus du territoire.



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