Le très discret François Provost, nouveau patron de Renault

Renault surprend en nommant François Provost à sa tête, un cadre inconnu du grand public. Le groupe mise sur la continuité plutôt que sur la rupture.

Le départ inattendu de Luca de Meo à la tête de Renault pour rejoindre Kering a ouvert une séquence à haut risque pour le constructeur automobile. En réponse, le conseil d’administration s’apprête à désigner ce mercredi François Provost, discret mais influent cadre du groupe, comme directeur général.
Un choix qui n’est ni spectaculaire ni idéologique, mais profondément stratégique. Dans un secteur secoué par des bouleversements technologiques, géopolitiques et financiers, Renault opte pour la continuité maîtrisée plutôt que la rupture visible.

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À 57 ans, François Provost s’impose comme une solution de transition sans être transitoire. Il n’était pas le favori dans la liste des successeurs présumés de Luca de Meo. Le nom de Denis Le Vot, patron de Dacia, circulait avec insistance. Certains pariaient sur un retour externe, comme Maxime Picat, ex-Stellantis. Mais le conseil, présidé par Jean-Dominique Senard, a tranché pour celui qu’on surnomme en interne le « gardien des équilibres ».

Cette nomination s’inscrit dans un moment sensible. Depuis le départ de De Meo en juin, l’action Renault a perdu plus de 25 %, aggravée par une révision à la baisse des objectifs financiers. Loin d’un vote d’attente, la désignation de Provost est perçue comme un signal de stabilité, tant pour les marchés que pour les équipes.

Diplômé de l’École Polytechnique (1988) et des Mines de Paris, François Provost débute sa carrière dans les cercles fermés de l’État. Il passe par le Trésor et le ministère de la Défense, où il apprend à manier dossiers industriels et arbitrages publics. Il rejoint Renault en 2002, où il gravit les échelons avec régularité mais sans tapage.

L’architecte de la Renaulution

Sa trajectoire est marquée par l’international. Il prend la direction de Renault Portugal en 2005, devient directeur général adjoint de Renault Russie en 2010, avant de s’installer en Corée du Sud, à la tête de Renault Samsung Motors. Ce passage, décisif, consacre sa capacité à redresser une filiale déficitaire et à gérer les subtilités d’un écosystème industriel étranger. Il transforme une perte de 250 millions d’euros en un bénéfice de 400 millions en quatre ans. En 2016, il prend la tête de la région Asie-Pacifique. Il y pilote les opérations chinoises et orchestre la réorientation stratégique vers les véhicules électriques et utilitaires.

En 2020, Luca de Meo le rappelle à Boulogne-Billancourt. Provost devient directeur du développement international, puis des affaires publiques. En 2023, il prend la direction des achats du groupe, gérant 85 milliards d’euros d’approvisionnements annuels dans le cadre de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi.

Mais c’est en coulisse qu’il influence profondément la Renaulution. Il coordonne la création d’Ampere (électrique) et de Horse (hybride et thermique), deux entités destinées à repositionner Renault sur la chaîne de valeur automobile. Il négocie les accords avec Geely et Aramco, renforçant les capacités de développement et de financement du groupe. Surtout, il mène la recomposition du lien capitalistique avec Nissan, opération juridiquement et politiquement complexe, qui permet à Renault de retrouver sa souveraineté sans briser l’Alliance.

Sa légitimité repose aussi sur sa capacité à naviguer entre monde industriel et sphère publique. Dans un groupe où l’État français détient environ 15 % du capital, cette compétence est essentielle. Provost maîtrise les enjeux européens – électrification, normes CO₂, chaînes de valeur stratégiques – et sait dialoguer avec Bruxelles, Bercy ou Matignon. Il gère également des dossiers socialement sensibles, comme celui de la Fonderie de Bretagne, avec un pragmatisme qui cherche l’équilibre entre impératifs économiques et pression sociale.

Des défis à relever

Le défi qui l’attend est multiple. D’abord, finaliser le plan « Futurama », prolongement de la Renaulution, centré sur l’innovation technologique. Cela implique l’accélération de projets comme le moteur-roue ou l’adoption de batteries LFP, ainsi que la montée en puissance d’Ampere, positionnée face aux champions chinois du véhicule électrique.

Ensuite, restaurer la confiance des marchés, alors que Renault a revu à la baisse ses ambitions pour 2025 : marge opérationnelle attendue à 6,5 %, free cash-flow réduit à 1–1,5 milliard d’euros, et un stock de 530 000 véhicules à écouler. Le groupe fait face à une pression concurrentielle aiguë, notamment sur le segment des véhicules utilitaires en Europe.

Enfin, Renault doit accélérer la digitalisation de ses véhicules et son recentrage stratégique sur les marchés rentables. Provost aura à gérer le redéploiement international du groupe, via des partenariats ciblés en Asie et en Amérique latine, tout en maintenant la production en France.

François Provost n’a ni l’aura médiatique ni le style flamboyant de son prédécesseur. Là où Luca de Meo construisait des narratifs de rupture, Provost privilégie l’exécution, l’optimisation, le maillage opérationnel. Sa vision de la relation fournisseurs abandonne les logiques de compression des prix au profit d’une coopération agile. Son style de management repose sur la cohérence des processus plus que sur le pouvoir de séduction.



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