Lea Salamé a-t-elle sa place au JT de France 2 ?

De Beyrouth à Paris, Léa Salamé s’est construite entre exil, intégration et passion du journalisme. Un destin désormais lié au JT de 20h de France 2.

Résumé Résumé

En juin 2025, sa nomination à la tête du journal télévisé de 20 heures de France 2 a surpris jusque dans les couloirs de la chaîne. Léa Salamé ne l’avait « jamais rêvé » (Téléstar, 23 juillet 2025). Elle s’était même, dit-elle, inconsciemment interdit d’y penser. « Je ne suis pas une blonde aux yeux clairs, je suis une Arabe catholique en couple avec un Juif. » (Paris Match, 24 juillet 2025)

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Cette remarque, formulée sans provocation, résume bien la nature du défi. L’une des journalistes les plus en vue du paysage audiovisuel français incarne désormais le visage de l’information du service public, dans ce rendez-vous rituel qui cristallise autant qu’il rassure. Une nomination qui vient couronner un parcours de vingt ans, fait de ruptures, d’ambitions, de convictions, de blessures aussi. Une histoire individuelle qui épouse les lignes de fracture d’un pays à l’histoire tragique.

Naître dans la guerre

Hala Léa Salamé naît le 27 octobre 1979 à Beyrouth, dans un arrive au monde dans l’un des épisodes les plus violents de cette tragédie nationale, au cœur d’un quartier – Hamra – où cohabitent bombardements, milices armées et figures historiques du Proche-Orient.

Dans les souvenirs de la journaliste, cette naissance n’a rien d’anodin. La peur, la nuit, les vitres brisées. Elle évoque régulièrement ces premières années passées à dormir dans la salle de bains avec sa sœur cadette Louma, seule pièce sans fenêtres. Cette expérience marque son rapport au monde. « Très jeune, je savais que la vie pouvait basculer » (InPower, 30 novembre 2021), confie-t-elle aujourd’hui. Un sentiment d’urgence qui la poursuivra longtemps.

En 1984, la famille Salamé quitte le Liban pour Paris. Le père, Ghassan, universitaire respecté, et la mère, Mary Boghossian, issue d’une lignée arménienne de diamantaires, choisissent l’exil. Un arrachement assumé comme nécessaire pour offrir un avenir à leurs filles. À Paris, la famille s’installe dans le XVIe arrondissement, au sein d’une bourgeoisie intellectuelle à laquelle elle appartient pleinement, mais qui accueille parfois avec distance ces nouveaux venus du Levant.

Le processus d’intégration est douloureux. À l’école, Hala devient « Léa ». Une décision prise à l’adolescence, après des années de moqueries. Le prénom Hala, mal prononcé, devient « Allah », suscitant des réflexions humiliantes. Ce changement n’est pas une rupture : c’est une stratégie de survie. « J’ai gardé mon prénom libanais, c’était important. Mais j’avais besoin d’être entendue sans être moquée. » (Le Point, 24 avril 2023) L’adoption du prénom français s’accompagne d’un effort constant pour s’imposer. Son père parlera plus tard d’une « rage d’intégration » (Libération, 24 juillet 2025).

Dans les couloirs de l’élite

Inscrite au lycée Saint-Louis-de-Gonzague, Léa Salamé découvre un autre type de violence : le racisme feutré des grandes institutions. Elle en garde un souvenir amer. Un professeur évoque un jour son manque de « cartésianisme » lié à son origine « orientale ». Sa mère réagit : « Elle est orientale, Monsieur, et elle en est fière. » (Quotidien, 9 septembre 2020)

À l’École alsacienne, l’ambiance change. L’ouverture d’esprit de cet établissement privé du Ve arrondissement lui permet de s’épanouir. Suit un parcours universitaire classique des élites françaises : droit à Assas, Sciences Po Paris, puis une année d’échange à la New York University.

Là encore, l’histoire s’invite. Le 11 septembre 2001, elle est à trois blocs du World Trade Center. Elle raconte la poussière, les corps, la course pieds nus dans les rues, les hommes qui sautent des tours. « Ce jour-là, j’ai compris ce que signifiait la violence de l’Histoire. » (InPower, 30 novembre 2021)

L’entrée en journalisme

De retour à Paris, fraîchement diplômée, elle entame sa carrière grâce à une recommandation paternelle auprès de Jean-Pierre Elkabbach. Ce dernier, à la tête de LCP/Public Sénat, accepte de la prendre en stage. Elle se forme « à la dure », selon ses propres mots, puis co-anime Paroles du Monde avec son mentor. Elkabbach dira plus tard d’elle : « Elle est bonne, mais surcotée. Ultra-bosseuse, avec son narcissisme solaire. » (Closer, 24 juillet 2025)

En 2007, elle rejoint France 24. Elle y affine sa voix, développe son expertise en relations internationales, présente des émissions en direct. Trois ans plus tard, elle saute le pas vers iTélé. Elle y découvre la tension du direct continu, l’exigence du rythme, mais aussi la visibilité. Elle anime Élysée 2012, puis arbitre les débats de Ça se dispute, face à Domenach et Zemmour. Elle s’impose.

La bascule a lieu en 2014, lorsqu’elle rejoint simultanément France Inter et France 2. D’un côté, elle devient la voix de l’interview politique du matin, succédant à Patrick Cohen. De l’autre, elle remplace Natacha Polony dans On n’est pas couché, où elle affronte chaque semaine les figures de la culture et de la politique française. Son style tranche. Direct, sans complicité. « Je n’aime pas déjeuner avec les politiques », affirme-t-elle (Revue Charles, novembre 2020). Cette distance alimente autant sa réputation que les critiques.

En 2017, elle devient co-animatrice de la matinale de France Inter avec Nicolas Demorand. Le duo fonctionne, se complète, s’écoute. Elle reçoit cette année-là le prix Philippe-Caloni de la meilleure intervieweuse. Parallèlement, elle développe des projets éditoriaux plus personnels. Le podcast Femmes puissantes, lancé en 2019, connaît un succès public immédiat. Des dizaines d’entretiens, deux ouvrages, plus de 200 000 exemplaires vendus. Elle interroge le pouvoir, les stéréotypes, les identités féminines. Et s’affirme comme une journaliste à part entière, capable de passer du politique à l’intime.

L’intime comme territoire public

Le 14 novembre 2015, sur le plateau d’On n’est pas couché, elle croise pour la première fois le regard de Raphaël Glucksmann. La veille, les attentats ont frappé Paris. La rencontre a lieu dans une atmosphère suspendue. Un coup de foudre. Elle est en couple, lui enterre son père. Quelques mois plus tard, elle est enceinte. Gabriel naît en mars 2017, en pleine campagne présidentielle.

Le couple s’installe dans une maison recomposée, avec Alexandre, le fils de Raphaël issu d’une précédente union. Elle parle de ce rôle de belle-mère sans emphase ni idéalisation. La maternité la transforme. « Je suis moins en colère », dit-elle (Psychologies, septembre 2023). Cette évolution personnelle accompagne un tournant professionnel plus apaisé, sans renoncement.

Le style Salamé ne fait pas l’unanimité. Certaines interviews trop sèches, des remarques jugées malvenues, déclenchent régulièrement des polémiques.

Autre sujet sensible : sa vie privée. En couple avec un député européen en pleine ascension, Léa Salamé doit se positionner. En 2019, elle se met en retrait lors des élections européennes. En 2025, elle annonce qu’elle quittera l’antenne si Raphaël Glucksmann se déclare candidat à la présidentielle (Ozap, 24 juillet 2025). Une ligne claire, respectée, mais toujours scrutée.

Le JT, entre défi et symbole

La proposition de France Télévisions intervient après le refus de Caroline Roux. Léa Salamé accepte, à condition de conserver ses autres activités. Le salaire – 25 000 euros mensuels – suscite des commentaires, mais reste dans les standards du métier. Elle reconnaît avoir hésité. Le JT, dit-elle, « n’était pas pour moi » (Téléstar, 23 juillet 2025). Elle évoque son style, son physique, son sentiment d’étrangeté. « Je ne me l’autorisais pas. »

Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, insiste : « Léa Salamé n’est pas venue demander le 20h. C’est nous qui sommes venus vers elle » (Programme TV, 25 juin 2025). Ce choix est politique, au sens noble. Il dit quelque chose de la France de 2025. D’un pays qui cherche ses figures, ses voix, ses incarnations. Et qui, à travers elle, affirme une certaine idée de la diversité, de l’exigence, de la République.

Léa Salamé incarne aujourd’hui une singularité rare : femme, journaliste, Française d’origine libanaise, chrétienne arabophone, elle s’est imposée par le travail, la ténacité, la volonté. En 2018, elle figurait en tête des femmes de télévision les plus influentes. Son image dépasse les clivages. Elle interroge, elle dérange, elle force l’écoute.

Elle parle sans détour de l’avenir. Du journal télévisé, qu’elle veut rendre « plus chaleureux », sans renier son exigence. De ses projets avec France Inter. D’un éventuel mariage, qu’elle n’exclut plus. « Le mariage ne m’a jamais fait rêver mais, comme pour le 20 heures, il finira par arriver avec Raphaël » (Paris Match, 24 juillet 2025). « J’ai été récemment à plusieurs mariages, dont deux de vieux comme moi. Je trouve qu’il y a une joie et une sincérité particulière dans les mariages tardifs. » (Paris Match, 24 juillet 2025)

Dans l’ancien appartement d’André et Fanfan Glucksmann, où le couple vient d’emménager, elle dit sentir « les bons fantômes » (Libération, 24 juillet 2025). Une expression douce pour désigner une histoire qui continue, dans un espace où les héritages se transmettent. Léa Salamé n’a peut-être pas rêvé du 20h. Mais le 20h, désormais, est aussi à son image.



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