Année blanche : une bombe sociale à retardement

RSA figé, retraites non revalorisées, salaires bloqués : l’année blanche décidée par François Bayrou risque de peser durement sur des millions de Français.

C’est une mesure d’apparence technique mais aux répercussions très concrètes : si elle est adoptée, l’« année blanche » budgétaire envisagée par François Bayrou affectera le quotidien de millions de Français dès 2026. Gel des pensions de retraite, stagnation du RSA, barème de l’impôt sur le revenu inchangé, dotations gelées pour les collectivités, absence de revalorisation pour les fonctionnaires… Derrière la formule comptable, ce sont des pans entiers de la protection sociale et des services publics qui seraient figés dans un contexte d’inflation toujours active.

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Les retraités fortement impactés par l’année blanche

Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les retraités seraient les plus directement touchés : près de 10 millions de ménages verraient leur revenu disponible diminuer d’environ 280 euros par unité de consommation, soit 1 % de leur niveau de vie. Pour un retraité percevant 1 500 euros par mois, la perte de pouvoir d’achat annuelle approcherait les 200 euros. Une ponction généralisée.

Les ménages les plus modestes, fortement dépendants des prestations sociales, subiraient une baisse équivalente, voire plus marquée. Le RSA resterait gelé à 635,71 euros mensuels pour une personne seule, les APL ne seraient pas revalorisées, tout comme l’AAH ou la prime d’activité. L’OFCE estime que les 5 % les plus pauvres perdraient près de 1 % de leur revenu disponible, contre moins de 0,3 % pour les 5 % les plus riches.

Les demandeurs d’emploi verraient également leur pouvoir d’achat rogné, avec une perte moyenne estimée à 120 euros par unité de consommation, du fait du gel des allocations chômage et des autres prestations annexes.

Les fonctionnaires en première ligne

Le secteur public ne serait pas épargné. La reconduction du gel du point d’indice des fonctionnaires, déjà gelé durant plusieurs années, représenterait une économie de 2,5 milliards d’euros, mais renforcerait l’érosion du pouvoir d’achat des 5,6 millions d’agents publics. Depuis 2000, cette stagnation salariale a déjà entraîné une perte de pouvoir d’achat estimée à 22 %. En complément, le gouvernement envisage de suspendre les avancements automatiques de carrière, pour un gain budgétaire supplémentaire de 1,2 milliard.

Les collectivités locales, déjà confrontées à une forte dégradation de leur situation financière, pourraient voir leurs dotations gelées, pour un montant global de 4 milliards d’euros. Selon l’Observatoire des finances locales, leur épargne brute a reculé de 7,3 % en 2024 et leur trésorerie a chuté de 133 à 78 jours. De nombreux maires alertent sur le risque d’une réduction de l’investissement public local et d’un affaiblissement des services essentiels, notamment en milieu rural.

Ce gel généralisé s’étendrait même à certains postes de santé publique. Malgré une hausse annoncée de l’ONDAM (objectif national de dépenses d’assurance maladie) de 3,3 %, les propositions actuelles pour économiser sur les arrêts de travail et les prestations maladie inquiètent les professionnels du secteur. L’instauration de jours de carence, la forfaitisation des indemnités journalières et la limitation des arrêts répétés sont autant de leviers d’économies évoqués, sans consensus.

Une opposition transpartisane et déterminée

Dans un paysage politique fragmenté, c’est une rare unanimité : l’année blanche est massivement rejetée par les oppositions, de gauche comme de droite.

La France Insoumise s’y oppose frontalement. Éric Coquerel, président de la commission des Finances, évoque une « très mauvaise solution » aux « effets récessifs » marqués, en particulier pour les plus défavorisés. Il s’appuie sur les travaux de l’Institut des politiques publiques (IPP), qui chiffrent l’impact potentiel à moins de six milliards d’euros d’économies, très loin des quarante milliards annoncés comme objectif par Matignon.

Face à cela, les Insoumis défendent une approche plus offensive sur la fiscalité du capital : suppression de niches fiscales, taxation des superprofits, création d’une « taxe Zucman » sur les 1 800 contribuables les plus fortunés, censée rapporter à elle seule 20 milliards d’euros par an. La présidente du groupe LFI, Mathilde Panot, a déjà annoncé qu’une motion de censure serait déposée si le gouvernement allait au bout de cette orientation.

Le Rassemblement national ne cache pas son hostilité, bien que sa stratégie soit plus calculée. Jean-Philippe Tanguy assimile l’année blanche à « du vide habillé en mesure budgétaire », tandis que Marine Le Pen fixe une ligne rouge claire : aucune hausse d’impôt, en particulier de TVA, ne serait tolérée. Si le RN a refusé de censurer le gouvernement sur les retraites, c’est pour mieux recentrer son offensive sur les arbitrages budgétaires d’automne. Sébastien Chenu parle d’un « impôt invisible » et d’une atteinte injustifiée au pouvoir d’achat.

Du côté des Républicains, la critique est plus ambivalente mais tout aussi réelle. François-Xavier Bellamy, vice-président délégué du parti, dénonce une mesure qui « ne règle rien sur le fond ». Les Républicains, pourtant partie prenante du gouvernement Bayrou, se montrent réticents à valider une solution qu’ils jugent cosmétique. Ils plaident pour une réforme en profondeur des dépenses sociales, ciblant notamment le RSA ou les allocations chômage. Cette ligne, articulée autour du triptyque « 100 % d’économies, 0 % de hausse d’impôts », accentue les tensions au sein même du gouvernement.

Une mesure de court terme pour une impasse de long terme

Techniquement, l’année blanche présente l’avantage d’une mise en œuvre rapide et d’un rendement budgétaire immédiat. Politiquement, elle apparaît comme une fuite en avant. Selon plusieurs économistes, dont François Ecalle, elle ne résoudra pas les déséquilibres structurels des finances publiques à long terme. Vieillissement démographique, transition écologique, crise hospitalière et dépendance sont autant de chantiers laissés en suspens.

À l’inverse, les effets récessifs pourraient être sensibles. En pesant sur le pouvoir d’achat, la consommation des ménages – qui représente 50 % du PIB – risque de ralentir, entraînant mécaniquement une baisse des recettes fiscales.

Sur le plan social, l’effet est régressif. L’IPP estime que le quart le plus modeste de la population verrait son niveau de vie reculer plus fortement que les tranches aisées, moins dépendantes des transferts publics. Ce déséquilibre vient raviver le ressentiment déjà marqué autour des politiques d’austérité et d’injustice fiscale.

Une stratégie de Matignon à haut risque

L’année blanche apparaît, de plus en plus, comme le produit d’un gouvernement isolé, sans majorité, sans levier fiscal ni capacité de réforme profonde. Selon plusieurs observateurs, François Bayrou opterait délibérément pour un budget qu’il sait rejetable, dans une forme de stratégie de l’échec assumé.

Ce choix met en tension l’ensemble des équilibres institutionnels. Une motion de censure est probable. La menace est explicite du côté de LFI. Le RN ne cache pas ses intentions. Les Républicains, bien que divisés, pourraient ne pas soutenir l’exécutif.

Le scénario d’un rejet budgétaire à l’automne est désormais ouvertement discuté. Il pourrait précipiter la fin du gouvernement Bayrou. La mesure censée éviter l’effondrement financier pourrait, par un effet de retour, provoquer une crise politique majeure.



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