Le 1er juillet 2025, la révocation soudaine de Koussée Vaneecke, présidente du directoire d’EuraTechnologies, est venue rallonger la liste déjà conséquente des départs précipités à la tête du fleuron numérique des Hauts-de-France. Cette nouvelle secousse, loin d’être anodine, confirme une instabilité structurelle qui semble désormais indissociable du fonctionnement de cet incubateur autrefois présenté comme un modèle.
Depuis le départ de son fondateur Raouti Chehih en 2021, EuraTechnologies peine à retrouver une ligne claire de gouvernance. En l’espace de quatre ans, l’incubateur a connu trois dirigeants successifs, tous révoqués, et deux présidents du conseil de surveillance. Une valse qui interroge sur les causes profondes d’une crise devenue systémique.
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De 2009 à 2021, Raouti Chehih avait fait d’EuraTechnologies l’une des vitrines les plus visibles de l’innovation en région. L’ancien conseiller municipal, docteur en urbanisme passé par Stanford, avait su allier stratégie de développement territorial et attractivité internationale. En quinze ans, l’incubateur a accompagné plus de 1 300 projets et contribué à la création de 8 000 emplois. À son départ, il laisse une structure solide, mais aussi profondément marquée par sa vision personnelle.
Son successeur, Nicolas Brien, ancien directeur général de France Digitale, incarne un changement de génération et de méthode. Mais son passage, écourté à treize mois, se solde par une mise à pied et un bannissement du site, dans un climat tendu. Les accusations portées par le conseil de surveillance — « comportement erratique », « politique de la terreur » — laissent une empreinte durable. Brien aura néanmoins obtenu une levée de fonds de 24 millions d’euros, consolidant la structure financière d’EuraTechnologies tout en cristallisant les oppositions internes.
Koussée Vaneecke, qui avait pris la direction générale en janvier 2022 avant d’être nommée à la présidence du directoire, semblait incarner un retour à la stabilité. Son bilan, en apparence positif, avec un redressement financier annoncé et une croissance de 40 % du nombre de projets accompagnés entre 2022 et 2024, n’aura pas suffi. Sa révocation brutale, sans explication publique, ravive les interrogations sur les véritables ressorts de la décision. Plusieurs sources internes évoquent une fracture de gouvernance plus que des résultats insatisfaisants.
À la recherche d’un cap
Le départ de Martine Aubry en mars 2025, après 24 ans à la tête de la mairie de Lille, puis de la présidence du conseil de surveillance d’EuraTechnologies, marque une césure. Longtemps garante politique du projet, Aubry aura été une actrice centrale de toutes les décisions majeures, y compris les plus contestées. Son successeur, Michel Colin, maire de Lannoy et vice-président de la Métropole européenne de Lille, adopte un style plus discret, mais hérite d’un dispositif fragilisé par l’accumulation des crises.
Ce changement de gouvernance s’effectue dans un contexte institutionnel complexe. EuraTechnologies est une société d’économie mixte, avec un capital partagé entre collectivités locales et investisseurs privés. Depuis l’entrée de la famille Mulliez en 2022, les équilibres entre actionnaires publics et privés sont devenus plus difficiles à articuler. La logique entrepreneuriale de rentabilité entre parfois en tension avec les objectifs de développement territorial et d’intérêt général que poursuivent les collectivités.
Fragilité managériale
Sur le plan comptable, EuraTechnologies affiche une relative stabilité. Son chiffre d’affaires, en baisse à 11,8 millions d’euros en 2023 contre 13,6 millions en 2022, reste soutenu par des financements publics conséquents, notamment via France 2030. Les prévisions pour 2025 tablaient sur un retour à l’équilibre. L’héritage de la levée de fonds de 2022 continue de porter ses fruits, avec un budget de 4 millions d’euros alloué sur deux ans à la structuration des programmes d’incubation.
Mais cette performance ne doit pas faire oublier le ralentissement significatif des levées de fonds côté startups. De 70 millions d’euros en 2022, elles sont tombées à 12 millions sur les sept premiers mois de 2024. Un chiffre qui interroge sur l’attractivité réelle de l’incubateur à l’heure où la concurrence nationale se renforce, avec plus de 450 structures recensées sur le territoire.
Au-delà de l’incubateur lui-même, c’est l’ensemble de l’écosystème tech des Hauts-de-France qui subit les conséquences de cette instabilité. EuraTechnologies accueille plus de 300 entreprises et représente 6 000 emplois sur son site. Son rôle structurant est confirmé par les données de l’étude d’impact EY menée en 2024. Le taux de survie à trois ans des startups accompagnées atteint 91 %, contre une moyenne nationale de 70 %. Ces résultats, solides sur le fond, ne suffisent plus à rassurer un écosystème en demande de visibilité et de stabilité.
L’intérim assuré depuis juillet par Étienne Westphal, ancien avocat et secrétaire général de la structure, illustre le recours à une expertise juridique et institutionnelle dans une phase délicate. Mais l’avenir d’EuraTechnologies repose désormais sur la capacité du conseil de surveillance à désigner un dirigeant à la fois crédible, indépendant et capable de composer avec les multiples centres de gravité de la structure.