L’hexane, ce dérivé du pétrole qui empoisonne nos aliments

Ce solvant issu du pétrole s'infiltre dans votre alimentation sans que vous le sachiez. Beurre, lait, œufs : tous concernés, même en bio.

Solvant issu du pétrole utilisé massivement dans l’industrie agroalimentaire, l’hexane s’infiltre bien au-delà des seules huiles végétales. Résidus dans le beurre, les œufs ou le poulet, transfert dans le lait, absence d’étiquetage et normes obsolètes : une remise à plat s’impose. Sous pression scientifique et citoyenne, l’Europe amorce enfin une révision réglementaire. En coulisse, industriels et législateurs s’affrontent sur la transparence et l’avenir des solvants dans notre alimentation.

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L’hexane, un solvant chimique

L’hexane est principalement utilisé pour extraire l’huile de graines oléagineuses – soja, tournesol, colza – à grande échelle. Ce procédé, bien plus rentable que la pression mécanique, laisse cependant des traces. Depuis 1996, la directive 2009/32/CE autorise des résidus d’hexane dans les huiles jusqu’à 1 mg/kg, et jusqu’à 10 mg/kg dans les produits protéiques dégraissés.

Mais cette réglementation, construite il y a près de trente ans, ne couvre qu’une partie du problème. Une enquête de Radio France publiée le 23 mai 2025 a révélé des résidus d’hexane dans 25 produits alimentaires sur 54 testés. Certains affichaient le label bio. Beurres, margarines, œufs et viandes de poulet ont été contaminés, sans qu’aucune mention n’apparaisse sur l’emballage.

L’origine de cette présence dans les produits animaux est connue : les tourteaux de soja ou de tournesol, une fois l’huile extraite à l’hexane, sont réutilisés comme fourrages pour les élevages. Le solvant migre ensuite dans la chair, les œufs ou le lait. Une voie de contamination jusqu’ici ignorée dans les calculs de risque alimentaire.

Une révision réglementaire européenne en cours

Face à cette accumulation de signaux, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a estimé en septembre 2024 qu’une réévaluation complète de l’hexane s’imposait. Le commissaire européen à la Santé, Olivér Várhelyi, a confirmé le 7 janvier 2025 devant le Parlement que la Commission allait formaliser cette saisine. Le 23 mai 2025, le dossier est officiellement arrivé sur le bureau de l’EFSA.

Un appel à données a été lancé le 22 juin 2025. Les industriels, laboratoires publics et ONG ont jusqu’au 23 octobre 2025 pour soumettre leurs mesures d’occurrence, d’exposition et de toxicité. L’avis scientifique final est attendu au second semestre 2026. Objectif : redéfinir les seuils autorisés, en tenant compte des nouvelles méthodes de détection et des expositions cumulées, notamment chez les enfants et les nourrissons.

C’est dans une étable de Theix, dans le Puy-de-Dôme, que l’une des avancées scientifiques les plus déterminantes a été obtenue. Valentin Menoury, doctorant à l’INRAE, mène depuis 2021 une étude comparative sur deux lots de vaches laitières : l’un nourri avec des tourteaux issus d’une extraction à l’hexane, l’autre avec un solvant biosourcé.

Les résultats, validés par le Journal of Dairy Science et attendus pour publication en juin 2025, montrent un transfert mesurable d’hexane dans le lait, significativement réduit lorsque le solvant est remplacé. C’est la première fois qu’un lien direct est établi entre l’alimentation animale et la contamination d’un produit laitier. Cette donnée n’avait jamais été prise en compte dans les précédentes évaluations sanitaires.

Vers un étiquetage obligatoire et une interdiction en France

En réaction, certains parlementaires français souhaitent prendre de vitesse Bruxelles. Le député Richard Ramos (MoDem) a déposé le 11 mars 2025 une proposition de loi (n° 1078) visant à rendre obligatoire l’étiquetage des résidus d’hexane sur les produits alimentaires. Le texte prévoit également un avertissement sanitaire et une interdiction progressive de son usage dans l’alimentation humaine et animale. Le projet a été renvoyé à la commission des affaires économiques, pour un examen prévu à l’automne 2025.

Du côté des industriels, la possibilité de transition est désormais réelle. Le 2-méthyloxolane (2-MeTHF), un solvant d’origine végétale élaboré par la société Pennakem Europa, a été autorisé dans l’UE en janvier 2023. L’EFSA a fixé une dose journalière tolérable de 1 mg/kg de poids corporel et conclu à l’absence de risque aux limites de résidus équivalentes à celles de l’hexane.

Bien que son prix (8 à 9 euros/kg) reste nettement supérieur à celui de l’hexane (environ 1 euro/kg), les équipements actuels peuvent être adaptés avec des ajustements techniques modestes. La filière des ingrédients végétaux salue cette solution comme une percée : pour la première fois, un solvant propre et opérationnel est disponible pour l’extraction à grande échelle.

Un encadrement obsolète face aux avancées scientifiques

La Fédération européenne des industries des corps gras (FEDIOL) temporise. Dans un communiqué publié le 8 avril 2025, elle affirme que les résidus mesurés dans les huiles raffinées sont « bien en-dessous des seuils réglementaires » et qu’aucun danger sanitaire immédiat n’a été identifié par l’EFSA. Tout en qualifiant la réévaluation de « procédurale », elle indique qu’elle contribuera à l’appel à données.

Mais les seuils fixés en 1996 sont restés inchangés, malgré l’apparition de méthodes d’analyse capables de détecter des résidus cent fois plus faibles. L’EFSA devra désormais prendre en compte les expositions multiples (par les huiles, les produits animaux, l’environnement), les effets potentiels sur les populations sensibles, ainsi que les transferts méconnus dans la chaîne alimentaire.

Dans l’attente de nouvelles normes, des leviers existent. Les consommateurs peuvent privilégier les huiles vierges, obtenues par pression mécanique, ou portant la mention « sans solvant ». Ils peuvent aussi demander aux marques un certificat d’analyse des tourteaux utilisés dans les filières animales.

Plus largement, le soutien à une législation renforçant la transparence apparaît comme un enjeu démocratique. Si le débat sur l’hexane gagne en visibilité, c’est aussi parce qu’il cristallise une question plus large : celle du droit à une alimentation sans polluants invisibles.



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