Régimes minceur : enquête un business très lucratif

Le marché français de la minceur explose : les Français dépensent chaque seconde 114 euros... pour maigrir. Un business florissant porté par des normes sociales toujours plus fortes.

L’industrie française de la minceur ne connaît pas la crise. Portée par une obsession sociale ancienne et un taux de surpoids croissant, elle génère aujourd’hui 3,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an, dont 2,5 milliards pour les seuls régimes amaigrissants. Chaque seconde, 114 euros sont dépensés en France pour mincir, maintenir un poids jugé convenable ou retrouver une silhouette conforme aux normes dominantes.

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Cette dynamique économique s’ancre dans une réalité épidémiologique incontestable : 47 % des Français présentent un IMC supérieur à 25, seuil à partir duquel débute le surpoids, et 17 % sont en situation d’obésité. Au-delà des chiffres cliniques, ce sont les représentations sociales qui façonnent ce marché. 63 % des Français affirment surveiller leur poids, 50 % en parlent régulièrement à leur entourage, et 44 % ont déjà suivi un régime, dont un quart à plusieurs reprises.

L’industrie s’est adaptée à cette demande récurrente. En 2023, la diététique à elle seule représentait 400 millions d’euros de chiffre d’affaires, auxquels s’ajoutent 1,5 milliard pour les produits allégés, les aliments sans sucre, sans gluten ou encore la nutrition sportive. Le périmètre du marché s’est élargi à des formes plus diffuses de consommation santé-bien-être, brouillant les frontières entre traitement, prévention, habitude et injonction.

Pilules magiques et révolutions médicamenteuses

Un bouleversement de plus grande ampleur encore a commencé à se dessiner en 2024 avec l’arrivée sur le marché français de traitements médicaux anti-obésité aux résultats spectaculaires. Le danois Novo Nordisk, avec son médicament Wegovy, a affiché une perte de poids moyenne de 15 à 20 % en un an chez les patients traités. Eli Lilly, concurrent américain, a lancé Mounjaro, un traitement dont l’efficacité dépasse les 20 % sur une période de 72 semaines.

Les deux produits, commercialisés depuis octobre et novembre 2024 en France, ne sont pas remboursés, mais leur prix – environ 300 euros par mois – ne dissuade pas les patientèles solvables. La Haute Autorité de Santé estime qu’entre 1 et 2,1 millions de personnes pourraient être éligibles au Wegovy. À l’échelle mondiale, le marché des traitements anti-obésité pourrait atteindre 77 milliards de dollars à l’horizon 2030.

Ce tournant a des conséquences immédiates : l’un des plus anciens acteurs du secteur, Weight Watchers, a annoncé la fermeture de ses activités françaises en 2024, après une chute de 80 % de sa valeur boursière en un an. Le modèle fondé sur le suivi comportemental, les points et les réunions collectives ne résiste pas à la combinaison de l’innovation pharmaceutique et de la prescription algorithmique sur les réseaux sociaux.

Champions français : de la barquette au business plan

Certaines entreprises françaises continuent tout de même à prospérer. Comme J’aime, spécialiste de la livraison de repas hypocaloriques accompagnés d’un coaching téléphonique, revendique plus de 500 000 clients depuis 2010 et un chiffre d’affaires de 130 millions d’euros, multiplié par quatre en trois ans. Le prix du programme – entre 400 et 440 euros par mois – ne semble pas ralentir la demande.

L’entreprise, omniprésente dans l’espace publicitaire télévisé, incarne un modèle d’économie minceur direct au consommateur, soutenu par une campagne marketing intensive, avec Benjamin Castaldi comme visage médiatique.

Derrière ce leader se développe un tissu dense de franchises : Naturhouse (420 centres, 100 millions d’euros de chiffre d’affaires) ou Dietplus (plus de 300 centres) misent sur le rééquilibrage alimentaire, le conseil de proximité et des modèles d’implantation dans les villes moyennes. Cette maille territoriale solide ancre durablement l’industrie dans le quotidien français.

La machine médiatique de la minceur

Le marché des régimes trouve une caisse de résonance puissante dans les médias, en particulier la presse féminine. Femme Actuelle, diffusé à plus de 600 000 exemplaires, accorde une place importante à la minceur dans son contenu éditorial. On y retrouve régulièrement des classements de régimes, des recettes « healthy » et des conseils pour « détoxifier » son corps. Marie Claire, Elle ou encore Prima participent à ce calendrier éditorial parfaitement huilé : régime post-fêtes, préparation au « summer body », rentrée diététique.

Version Femina, avec une diffusion record de plus de 2,7 millions d’exemplaires, joue un rôle clé dans la diffusion de ces normes. Le poids devient ici un objet éditorial récurrent, conjuguant promesses de transformation et injonctions à la discipline corporelle.

La télévision n’est pas en reste. M6, TF1, France 2 et d’autres multiplient les émissions consacrées à la perte de poids. Qu’il s’agisse de documentaires, de formats de divertissement ou de segments dans les matinales, la minceur est devenue une narration audiovisuelle à part entière. « Zone Interdite », « E=M6 » ou « 90’ Enquêtes » mettent en scène des parcours de perte de poids, des révélations sur les méthodes en vogue, ou des analyses de marché, souvent au prisme de la réussite individuelle ou du danger sanitaire.

Influenceurs, TikTok et arnaques : la jungle numérique

L’autre accélérateur du marché, plus récent et moins contrôlé, se joue sur les réseaux sociaux. TikTok, en particulier, est devenu un vecteur majeur de contenus minceur, parfois toxiques. Le hashtag #SkinnyTok promeut des comportements alimentaires extrêmes, des régimes dangereux et une esthétique corporelle fondée sur l’extrême maigreur.

Parallèlement, les escroqueries en ligne se multiplient. Gélules miracles, fausses publicités utilisant des visages de célébrités, sites éphémères : les techniques sont rodées. L’association 60 Millions de consommateurs alerte sur des systèmes frauduleux comme celui de LeanCaps, dont les prélèvements s’avéraient trois fois supérieurs aux montants annoncés, avec des résiliations impossibles.

Le marketing d’influence, quant à lui, affiche un rendement exceptionnel. Chaque dollar investi rapporterait 5,78 dollars aux marques. Ce levier économique alimente des contenus pseudo-scientifiques, où les témoignages de transformation spectaculaire tiennent lieu de preuve d’efficacité.

Marketing médicalisé

Derrière cette mécanique commerciale se développe une stratégie de médicalisation du surpoids. Les marques investissent le champ lexical scientifique : rééquilibrage, métabolisme, drainage, détox. Elles adoptent l’apparence du discours thérapeutique, sans en respecter les fondements ni les cadres éthiques.

En parallèle, les partenariats avec des coachs ou influenceurs spécialisés permettent d’introduire ces produits dans des communautés numériques précises, à l’apparence authentique, mais souvent pilotées par des stratégies de placement opaque.

En France, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) disposent de leviers d’action, mais leur capacité à encadrer les dérives reste limitée.

En 2019, Comme J’aime a été condamnée pour pratique commerciale trompeuse, sans conséquence notable sur son activité. Les sanctions maximales prévues par la loi – deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende – sont rarement appliquées.

Sur les réseaux sociaux, la régulation est encore plus difficile. Instagram et Facebook ont interdit les publicités de produits minceur aux mineurs, mais les contournements sont légion. Des millions de jeunes continuent d’être exposés à ces messages, souvent sans filtres.

Start-up et mutations du marché

Face à ces dérives, une partie du secteur cherche à se repositionner. Certaines start-ups françaises misent sur des approches technologiques et personnalisées. Qilibri ou Cheef, intègrent l’intelligence artificielle pour proposer des recommandations alimentaires individualisées, livrent des repas calibrés, et assurent un suivi par des professionnels.

Le vocabulaire évolue lui aussi. On parle désormais de « compléments drainants », « super-aliments », « boosters métaboliques ». Le terme même de « régime » tend à disparaître au profit d’une approche holistique du bien-être, signe d’une prise de conscience des limites des solutions restrictives.

Une industrie prospère sur l’échec et la détresse

L’industrie des régimes repose sur un paradoxe fondateur : la répétition de l’échec individuel assure la réussite économique du secteur. Avec un taux d’échec estimé à 95 % à long terme, les consommateurs reviennent, recommencent, testent une nouvelle méthode. L’offre s’adapte, se renouvelle, mais ne résout jamais le problème durablement.

L’arrivée des traitements médicaux, prometteurs mais coûteux, introduit une fracture sociale entre ceux qui peuvent se les offrir et ceux qui restent prisonniers des solutions traditionnelles. Cette médecine de la minceur, encore réservée à une minorité, pourrait pourtant transformer en profondeur l’écosystème entier.

Face à ces enjeux, les entreprises françaises s’adaptent, investissent dans la technologie et diversifient leurs approches. Mais la régulation, tant sanitaire que numérique, reste en retard.



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