Le 5 juin 2025, l’Union européenne a adopté une réforme d’envergure du règlement CE 261/2004, texte de référence qui encadre les droits des passagers aériens depuis vingt ans. Présentée comme un rééquilibrage entre intérêts économiques des compagnies et protection des consommateurs, cette révision marque en réalité une nette régression des droits des voyageurs. Diminution des indemnisations, élargissement des cas d’exemption, complexité accrue du dispositif : les organisations de défense des consommateurs dénoncent un texte taillé pour les transporteurs aériens.
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La réforme a été validée par le Conseil de l’Union européenne avec le soutien d’un ensemble d’États représentant plus de 65 % de la population européenne. L’Allemagne s’y est opposée, mais n’a pas pu bloquer le texte. Le Parlement européen doit encore se prononcer, ce qui pourrait donner lieu à des ajustements. En l’état, le texte adopté consacre une inflexion marquée du droit européen vers une logique plus favorable aux compagnies, au détriment des voyageurs.
Indemnisations réduites, seuils relevés
Le changement le plus significatif concerne les conditions d’accès à l’indemnisation en cas de retard. Le seuil de trois heures, jusque-là en vigueur, passerait à quatre heures pour les vols de moins de 3 500 kilomètres, et à six heures pour les long-courriers. Parallèlement, les montants d’indemnisation seraient réduits : 300 euros pour les vols courts et moyens (contre 250 à 400 euros actuellement) et 500 euros pour les longs vols (contre 600 euros aujourd’hui). Ces modifications excluraient mécaniquement une grande majorité des passagers des indemnisations.
Selon l’UFC-Que Choisir, « l’extrême majorité des retards est comprise entre deux et quatre heures ». Le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) estime que 75 % des passagers qui bénéficient aujourd’hui d’une indemnisation en seraient privés sous le nouveau régime. Plusieurs associations dénoncent une réforme qui revient à encourager la médiocrité du service en réduisant la pression économique sur les compagnies.
Circonstances extraordinaires : une extension préoccupante
Autre évolution majeure : l’élargissement des « circonstances extraordinaires », ces cas dans lesquels les compagnies ne sont pas tenues de verser une indemnisation. En 2024, la Cour de justice de l’Union européenne a reconnu comme telles le manque de personnel aéroportuaire pour le chargement des bagages et certains défauts de conception des avions. Ces nouvelles exceptions incluent les défaillances récurrentes du 737 MAX et du 787 Dreamliner de Boeing, sous certaines conditions.
Ces ajustements soulèvent de vives critiques. Pour les associations de consommateurs, l’inclusion de ces situations dans les cas d’exemption crée un précédent dangereux. Elles y voient un affaiblissement net de la responsabilité des transporteurs, alors même que les problèmes techniques et les tensions sur les effectifs deviennent structurels dans le secteur.
Une ponctualité en crise, des indemnisations en baisse
Le contexte dans lequel s’inscrit cette réforme est celui d’une dégradation continue de la ponctualité aérienne. L’été 2024 a été le plus perturbé depuis vingt-cinq ans, avec près d’un vol sur deux retardé. En 2025, sur les 960 millions de passagers ayant transité par les aéroports européens, plus de 285 millions ont été confrontés à un retard ou à une annulation.
En France, 30 % des vols ont été retardés en 2024, contre 34 % l’année précédente. Si cette légère amélioration est notable, elle masque des disparités importantes entre compagnies. TAP Air Portugal affiche un taux de retard de 37,14 %, contre 22,65 % pour Air France. Dans ce contexte tendu, la réforme supprime pour une large part les possibilités de compensation pour les voyageurs affectés.
Les grèves toujours hors champ d’indemnisation
Les 3 et 4 juillet 2025, une grève des contrôleurs aériens français a provoqué l’annulation de plus de 2 000 vols et affecté près de 300 000 passagers. Ce mouvement, conduit par l’UNSA-ICNA et l’USAC-CGT, a paralysé une grande partie du trafic aérien européen, avec des réductions de trafic allant jusqu’à 50 % dans certains aéroports. Airlines for Europe estime que cette grève a affecté environ 10 % du trafic européen sur deux jours.
Dans le cadre réglementaire actuel comme dans le texte révisé, de telles perturbations sont classées comme circonstances extraordinaires, ce qui prive les passagers de toute indemnisation. La réforme ne modifie pas ce principe, et continue d’exclure les cas de grève externe à la compagnie du champ d’indemnisation.
Des avancées limitées pour les passagers
Le texte introduit cependant plusieurs droits nouveaux. Il prévoit une meilleure prise en charge des personnes handicapées et à mobilité réduite, ainsi qu’un système d’indemnisation automatique en cas d’annulation de vol. Le Parlement européen a également voté en faveur d’une mesure visant à garantir deux bagages cabine gratuits pour tous les passagers : un article personnel (40 x 30 x 15 cm) et un petit bagage cabine (55 x 40 x 20 cm, 7 kg maximum).
Cette harmonisation vise particulièrement les compagnies low-cost, qui facturent souvent ces éléments. Toutefois, les associations de consommateurs jugent les dimensions retenues insuffisantes. Les modèles de valises cabine les plus compacts disponibles sur le marché dépassent les limites fixées. La mesure ne concerne par ailleurs que le petit bagage gratuit, et non la valise cabine traditionnelle.
Des protections maintenues mais sous pression
La Médiation du Tourisme et du Voyage a vu sa présidence renouvelée en juillet 2025, avec la nomination de René-Marc Chikli en remplacement de Laurent Timsit. L’institution traite désormais plus de 21 000 dossiers par an, avec un taux d’acceptation de 95 % de ses avis. Elle reste l’un des recours privilégiés des passagers face aux transporteurs.
Le droit à réclamation sur cinq ans est également confirmé. La Cour de cassation a rappelé depuis 2017 que ce délai s’applique quelle que soit la nature de la perturbation. Ce cadre national reste pour l’heure inchangé, garantissant une certaine stabilité aux voyageurs français.
La Cour de justice de l’Union européenne a rendu en 2024 et 2025 plusieurs arrêts renforçant la position des voyageurs. Le 6 mars 2025, elle a reconnu qu’une carte d’embarquement peut suffire à prouver une réservation confirmée. Un autre arrêt, rendu le 17 octobre 2024, autorise un passager à demander une indemnisation même si l’organisateur de voyage l’avait informé, à tort, que le vol ne serait pas opéré.
Ces décisions consolident les droits des passagers à forfait et clarifient certaines situations litigieuses. Toutefois, elles ne compensent pas l’affaiblissement global du régime d’indemnisation entériné par la réforme.