De la taille d’un grain de riz, un robot souple et autonome se déplace à l’intérieur du cerveau humain pour diagnostiquer, traiter et suivre certaines des pathologies les plus complexes du système nerveux central. Derrière cette innovation, la start-up française Robeauté, qui ambitionne d’ouvrir une nouvelle ère dans la chirurgie cérébrale.
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Une vision née d’une expérience intime
C’est une scène de film qui l’a marqué durablement. Dans Le Voyage fantastique (1966), des scientifiques miniaturisés naviguent dans le corps humain à bord d’un vaisseau microscopique. Des années plus tard, ce souvenir prend une autre dimension pour Bertrand Duplat, lorsqu’il perd sa mère, atteinte d’un glioblastome, un cancer du cerveau incurable. Face à l’impuissance des outils médicaux disponibles, il décide d’agir.
En 2017, avec Joana Cartocci, il fonde Robeauté, une medtech installée à Paris. Leur objectif : concevoir un micro-robot chirurgical capable de se mouvoir dans le cerveau avec une précision inédite. Un projet à la croisée de la neurochirurgie, de la robotique de pointe et de la médecine personnalisée.
Le robot développé par Robeauté ne mesure que quelques millimètres, soit la taille d’un grain de riz. Souple, il est introduit dans le cerveau par un orifice de 3 à 4 millimètres de diamètre, dans une démarche minimalement invasive. Doté de son propre système de propulsion, il peut se déplacer dans les méandres cérébraux sans endommager les tissus.
Le dispositif suit une trajectoire courbe prédéfinie par le neurochirurgien à partir d’images médicales. Un GPS ultrasonore externe, positionné sur le crâne du patient, permet de suivre sa progression en temps réel. L’intervention est supervisée par le praticien, qui peut reprendre le contrôle ponctuellement, sans recours à une manette. Une fois sa mission accomplie, le robot est capable de rebrousser chemin.
Diagnostiquer, traiter, suivre
Trois fonctions principales sont au cœur de cette innovation. La première : le diagnostic, avec la possibilité de réaliser des prélèvements ciblés, notamment des biopsies de tumeurs profondes, afin d’orienter précisément le traitement. La deuxième : le traitement, grâce à la délivrance localisée de médicaments, de molécules actives ou d’électrodes. Enfin, la troisième : le suivi, en laissant le robot temporairement en place pour évaluer l’efficacité d’un protocole et ajuster l’approche si nécessaire.
L’ensemble permet une médecine de précision, adaptée à la singularité de chaque cerveau. « Il n’y a pas deux cerveaux identiques », rappellent les cofondateurs. L’objectif est d’ouvrir la voie à des soins sur mesure, moins invasifs, mieux ciblés, plus efficaces.
Premières cibles : tumeurs, Parkinson, Alzheimer
Les premières applications cliniques visent les cancers du cerveau, aujourd’hui difficiles à atteindre ou à traiter. À terme, la technologie pourrait également s’appliquer à des maladies neurodégénératives comme Parkinson ou Alzheimer, ainsi qu’à certains troubles neuropsychiatriques, dont la dépression ou la schizophrénie.
Au-delà du cerveau, Robeauté envisage des usages dans d’autres organes, comme le système vasculaire. La technologie pourrait, par exemple, être mobilisée pour déboucher une artère. Mais pour l’heure, l’entreprise reste concentrée sur les pathologies cérébrales.
Le robot existe déjà. Il a été testé avec succès sur des modèles ex vivo, sur des animaux vivants, puis sur des cadavres humains. L’entreprise est actuellement en phase préclinique. Les essais sur animaux doivent s’achever d’ici la fin de l’année 2025, et les premiers tests sur l’être humain sont prévus dès 2026.
Cette étape est considérée comme décisive. En cas de résultats concluants, une première application pourrait être commercialisée dès 2028, avec une mise sur le marché généralisée envisagée autour de 2030.
Robeauté prévoit également une implantation aux États-Unis, un marché jugé plus structurant. Le volume d’interventions chirurgicales assistées par robots y est supérieur à celui de l’Europe, et la réglementation y est perçue comme plus claire. L’autorisation de la Food and Drug Administration (FDA) sera une étape déterminante pour la diffusion internationale de la technologie.
Un financement ambitieux dans un contexte difficile
En décembre 2024, Robeauté a finalisé une levée de fonds en série A de 27 millions d’euros, amorcée au printemps de la même année. Parmi les investisseurs figurent plusieurs fonds européens reconnus : Plural, Cherry Ventures, Kindred Ventures, LocalGlobe, Think.Health, APEX Ventures, ainsi que le groupe Brainlab.
À ces capitaux privés s’ajoutent 5,3 millions d’euros de subventions publiques, issues notamment du Conseil européen de l’innovation, du fonds européen pour l’innovation, de Bpifrance et de la Région Île-de-France via le dispositif Innov’up.
Pour Bertrand Duplat et Joana Cartocci, ce soutien est aussi un enjeu de souveraineté. Ils déplorent un manque d’audace de certains fonds européens face à la réglementation, qu’ils estiment souvent brandie comme prétexte. « Si nous n’investissons pas dès maintenant, nous risquons de perdre notre expertise au profit d’acteurs étrangers », préviennent-ils.
Un binôme atypique à la tête du projet
Le tandem qui pilote Robeauté défie les codes classiques de la MedTech. Bertrand Duplat, ingénieur et roboticien, puise son inspiration autant dans la science que dans la fiction. Joana Cartocci, linguiste de formation, est passée par le théâtre, la création artistique et des projets de sensibilisation environnementale.
Tous deux revendiquent une approche « punk » du soin, mêlant rigueur technique et ouverture poétique. Leur vision dépasse la simple innovation chirurgicale. Ils imaginent une médecine multi-échelle, attentive à l’écosystème du patient, à l’image du robot jardinier du film d’animation Le Château dans le ciel de Hayao Miyazaki.
Robeauté a déjà déposé une cinquantaine de brevets et noué plusieurs collaborations internationales. L’équipe s’appuie sur un réseau de neurochirurgiens de haut niveau, dont le Dr Arthur André, de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris.