Combien gagne vraiment Emmanuel Macron ?

16 000 euros par mois, dîners à 400 000 euros, privilèges à vie : la fiche de paie présidentielle cache bien plus qu’un simple salaire.

Pour la première fois sous la Ve République, le bulletin de salaire du président de la République a été rendu public. Transmis en mai 2024 à l’association Ma Dada à la suite d’une décision du tribunal administratif, ce document dévoile une rémunération brute mensuelle de 16 039 euros, soit 14 586,32 euros nets avant impôt.

La démarche, initiée en 2020 par l’association en lien avec l’enseignante-chercheuse Luce Sponchiado, avait d’abord essuyé un refus de l’Élysée. C’est finalement la justice qui a contraint la présidence à communiquer ces données. Si cette publication constitue une avancée en matière de transparence, elle met également en lumière les nombreuses zones d’ombre qui entourent encore la gestion financière de la fonction présidentielle.

A LIRE AUSSI
Combien gagne vraiment un député en 2025 ?

Détails de la rémunération

Le salaire brut du chef de l’État se compose de trois éléments : un traitement de base de 12 457 euros (77,7 %), une indemnité de fonction de 3 207 euros (20 %), et une indemnité de résidence de 373 euros (2,3 %). Cette rémunération, réduite de 30 % sous François Hollande, est indexée sur celle des hauts fonctionnaires.

À cela s’ajoute un avantage en nature évalué à 2 418,25 euros par mois, correspondant à la valeur locative du logement de fonction à l’Élysée. Plusieurs éléments du bulletin demeurent toutefois occultés : numéro de sécurité sociale, volume horaire ou encore référence à une convention collective.

Au-delà du salaire, c’est l’évolution du budget de la présidence qui retient l’attention. En 2024, la dotation allouée à l’Élysée atteint 125,1 millions d’euros, en hausse de 11 % par rapport à 2023. Elle s’élevait à 105,3 millions en 2022. Cette progression constante suscite des critiques, d’autant qu’une partie importante de ces crédits est consacrée aux dépenses de fonctionnement.

La répartition pour 2024 prévoit notamment 76 millions d’euros pour le personnel (817 agents), environ 25 millions pour le fonctionnement courant, 23,2 millions pour les déplacements présidentiels, et un solde pour l’investissement et la sécurité.

Le spécialiste des finances publiques René Dosière, président de l’Observatoire de l’éthique publique, évoque un « dérapage budgétaire » sans précédent. Selon ses calculs, les dépenses ont atteint entre 123 et 127 millions d’euros en 2023, soit une augmentation de 12 à 15 % sur un an.

A LIRE AUSSI
Combien gagne un ministre ?

Réceptions officielles : des coûts en forte augmentation

Parmi les postes les plus sensibles figurent les frais de réception, dont le niveau a fortement progressé. En 2023, 171 événements ont été organisés à l’Élysée, pour un coût total de 21 millions d’euros, contre 13,3 millions en 2022.

Parmi les réceptions les plus onéreuses figurent un dîner en l’honneur du Premier ministre indien (412 366 euros) et le banquet offert au roi Charles III à Versailles (474 851 euros). Le coût moyen par invité est passé de 29 euros en 2022 à 35 euros en 2023.

Dans un contexte de rigueur budgétaire imposée aux administrations et aux citoyens, ces dépenses font l’objet de critiques récurrentes, notamment sur leur justification et leur encadrement.

Une transparence encore incomplète

La publication du bulletin de paie présidentiel constitue une avancée, mais elle ne résout pas le problème structurel soulevé de longue date : le chef de l’État fixe lui-même sa rémunération. Une situation qualifiée « d’anomalie juridique » par René Dosière, qui dénonçait dès 2003 l’absence de fondement légal à cette pratique.

Le contrôle parlementaire s’est également affaibli au fil des années. Selon Dosière, la commission des finances de l’Assemblée nationale ne joue plus son rôle de contre-pouvoir : ses rapporteurs, issus de la majorité, se limiteraient à reprendre les éléments transmis par l’Élysée sans réelle analyse indépendante.

Des privilèges post-mandat maintenus

Au terme de leur mandat, les présidents conservent une série d’avantages financés par les deniers publics. Chaque ancien chef de l’État perçoit une dotation mensuelle d’environ 6 000 euros bruts, bénéficie d’un cabinet composé de sept collaborateurs pendant cinq ans, puis de trois à vie, ainsi que de bureaux, d’un véhicule avec chauffeur et d’une protection policière à vie. Le conjoint survivant peut prétendre à une pension de réversion équivalente à 50 % de la dotation.

En 2023, les dépenses liées à Nicolas Sarkozy et François Hollande ont atteint 1,32 million d’euros, auxquels s’ajoutent environ 2,6 millions pour leur sécurité.

Le Sénat a bien adopté en janvier 2025 un amendement visant à supprimer ces avantages, pour un gain estimé à 2,8 millions d’euros. Mais la commission mixte paritaire a rejeté la mesure, notamment sous l’impulsion de François Bayrou, selon Le Canard enchaîné.

Emmanuel Macron avait lui-même annoncé en 2019 qu’il renoncerait à cette dotation. Cette promesse n’a pas été suivie d’effet.

À l’échelle internationale, le président français se situe au 7ᵉ rang des chefs d’État les mieux rémunérés. Sa rémunération reste inférieure à celle du président des États-Unis (environ 28 500 euros mensuels) ou du chancelier allemand (environ 18 000 euros), mais dépasse celle de plusieurs autres dirigeants européens.

Promesse de transparence et inertie institutionnelle

Sous l’effet de la pression citoyenne, l’Élysée a renoncé à l’augmentation de 2,5 % prévue pour 2025. Ce recul illustre l’impact des mobilisations individuelles, comme celles de Luce Sponchiado ou du journaliste Xavier Berne, qui ont permis d’obtenir des documents que l’administration refusait de communiquer.

Mais les résistances demeurent. L’autonomie de l’exécutif dans la fixation des rémunérations, la faiblesse du contrôle parlementaire, la pérennité des avantages post-mandat et l’opacité de certaines lignes budgétaires interrogent la cohérence d’un système institutionnel en décalage croissant avec les exigences de transparence.

Dans un pays où plus de 10 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, la rémunération du président et les privilèges de ses prédécesseurs ne relèvent plus seulement de la comptabilité publique : ils posent une question politique centrale. Celle de l’exemplarité.



L'Essentiel de l'Éco est un média indépendant. Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités :

Publiez un commentaire