Elle incarne à elle seule les espoirs et les excès de l’innovation financière. À 69 ans, Cathie Wood fascine autant qu’elle dérange. Adulée comme une visionnaire par ses partisans, honnie par une partie de Wall Street pour ses paris jugés irréalistes, la fondatrice d’ARK Invest est devenue en une décennie l’une des figures les plus polarisantes de la gestion d’actifs. Portée par une foi inébranlable dans la technologie, elle a imposé un style de gestion radicalement opposé aux canons traditionnels.
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Une éducation technologique et spirituelle
Née en 1955 à Los Angeles dans une famille d’origine irlandaise, Catherine Duddy Wood grandit dans un environnement où la discipline intellectuelle se conjugue à une fascination pour la science et la foi. Son père, ancien ingénieur en systèmes radar pour l’armée américaine, l’initie très tôt aux technologies de pointe. Sa mère, enseignante, l’encourage à cultiver rigueur et excellence académique.
Cette double influence modèle chez elle une approche analytique nourrie de curiosité. Diplômée summa cum laude en finance et économie de l’Université de Californie du Sud en 1981, elle se fait remarquer par Arthur Laffer, l’un des théoriciens de l’économie de l’offre. Mentor décisif, il lui ouvre les portes de Wall Street.
Cathie Wood fait ses premières armes chez Capital Group à la fin des années 1970 avant de rejoindre Jennison Associates, où elle occupe divers postes d’analyste et de gestionnaire pendant près de deux décennies. Elle y forge sa réputation de spécialiste des valeurs de croissance à long terme.
En 1998, elle cofonde son premier hedge fund, Tupelo Capital Management, une tentative encore balbutiante d’implémenter des stratégies d’investissement thématiques. Mais c’est au sein d’AllianceBernstein, à partir de 2001, qu’elle trouve un terrain d’expérimentation à grande échelle. En tant que directrice des investissements pour les stratégies mondiales, elle gère jusqu’à 5 milliards de dollars. La crise de 2008 lui vaut une sous-performance marquante – mais aussi une conviction renforcée : seules les révolutions technologiques profondes créent une valeur durable.
ARK Invest : la rupture méthodique
En 2014, frustrée par les limites imposées à ses stratégies, elle quitte AllianceBernstein pour fonder ARK Invest. Le nom, en partie inspiré de l’Arche d’Alliance biblique, condense à lui seul sa vision : foi, mais aussi méthode. « Active Research Knowledge » devient le socle d’une approche inédite, fondée sur quatre piliers : transparence radicale, horizon long terme, spécialisation thématique, et intelligence collaborative.
ARK Invest se distingue par ses paris sur cinq secteurs jugés transformateurs : l’intelligence artificielle, la robotique, la blockchain, le séquençage génétique et le stockage d’énergie. Chaque jour, la société publie ses transactions. Les recherches sont ouvertes au public. La logique de court terme, souvent dominante sur les marchés, est volontairement écartée.
Lorsque la pandémie propulse les technologies numériques au cœur des économies, ARK Invest se retrouve dans une position idéale. En 2020, son fonds phare ARKK affiche une performance de +152 %. Wood devient en quelques mois une figure médiatique mondiale. Les actifs sous gestion passent de 3 à 60 milliards de dollars.
Sa parole est scrutée. Ses paris, notamment sur Tesla, captivent une génération d’investisseurs particuliers séduits par une promesse de rupture. Elle fascine, notamment sur les réseaux sociaux où sa stratégie est célébrée comme un nouvel évangile de la croissance. La comparaison avec Warren Buffett devient inévitable, bien que leurs philosophies soient diamétralement opposées.
Chute et critiques
À partir de 2021, le retournement est brutal. ARKK perd près de 60 % de sa valeur. En 2024, selon une étude de Morningstar, le fonds est classé parmi les plus importants « destructeurs de valeur » de la décennie, avec une perte estimée à plus de 7 milliards de dollars pour les actionnaires.
Loin de renier ses choix, Wood persiste : la volatilité est pour elle le prix de l’innovation. « Nous ne jouons pas le trimestre. Nous construisons pour une décennie », rappelle-t-elle. Elle ajuste néanmoins certaines positions et réduit l’exposition à certains titres les plus volatils.
Cathie Wood ne se contente pas de défendre ses modèles : elle les projette dans des scénarios futuristes. Selon elle, Tesla pourrait atteindre 2 600 dollars d’ici 2030, grâce à sa plateforme de robotaxis. Le Bitcoin ? Elle l’imagine à 2,4 millions de dollars dans son scénario le plus optimiste. Ces prédictions, souvent moquées, sont issues de modèles internes complexes mêlant adoption technologique, dynamique réglementaire et transformation sociale.
Mais son système de pensée repose aussi sur des convictions métaphysiques. Chrétienne assumée, elle affirme avoir reçu une « révélation » pour fonder ARK Invest. Chaque jour commence par une lecture de la Bible. Cette dimension spirituelle, inhabituelle dans la finance, suscite à la fois scepticisme et admiration. Elle s’en explique : sa foi guide ses choix de fond, mais n’intervient pas dans l’exécution technique des investissements.
Une dirigeante singulière
Mère de trois enfants, veuve depuis 2018, Wood affiche un style de vie sobre malgré une fortune personnelle estimée entre 250 et 400 millions de dollars. Un quart de son patrimoine serait investi en Bitcoin. À la tête de son entreprise, elle impose une direction à la fois inspirante et centralisée.
Ses conseils aux jeunes femmes sont directs : travailler plus que son supérieur, objectiver sa performance, savoir partir si l’environnement n’est pas à la hauteur. Elle plaide pour une égalité réelle au sein des couples, et n’hésite pas à critiquer les sacrifices de carrière trop souvent imposés aux femmes dans la finance.
Que restera-t-il de Cathie Wood dans l’histoire de la finance ? Elle a popularisé une nouvelle génération d’ETF actifs, combinant accessibilité, transparence et spécialisation. Elle a introduit des milliers d’investisseurs particuliers à des secteurs autrefois réservés à quelques spécialistes. Et surtout, elle a déplacé les lignes du débat : faut-il privilégier les fondamentaux ou l’intuition visionnaire ? Le court terme ou la décennie ?
À la veille d’une probable deuxième présidence Trump, dont elle espère une nouvelle vague de déréglementation technologique, Cathie Wood continue d’élargir son univers d’investissement. De l’espace à l’énergie nucléaire, elle maintient sa stratégie de convergence entre technologies de rupture.