Médicaments anti obésité : entre espoir thérapeutique et jackpot industriel

Réglementation, coûts, effets secondaires : tout ce qu’il faut savoir sur la nouvelle prescription des médicaments anti-obésité.

Depuis le 23 juin, tous les médecins peuvent prescrire les traitements anti-obésité jusque-là réservés aux spécialistes. Une mesure qui élargit massivement l’accès à ces médicaments, mais soulève aussi des questions sanitaires, économiques et éthiques.

Un changement réglementaire aux effets systémiques

C’est une évolution passée relativement inaperçue, mais qui pourrait profondément modifier la prise en charge de l’obésité en France. Le 23 juin 2025, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a levé la restriction qui réservait jusqu’alors la prescription initiale des agonistes du GLP-1 – comme le sémaglutide (Wegovy), la tirzépatide (Mounjaro) ou le liraglutide (Saxenda) – aux endocrinologues, diabétologues et nutritionnistes. Désormais, tout médecin, généraliste ou spécialiste, peut les initier.

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Ce changement intervient dans un contexte où l’obésité progresse rapidement en France, sans que les structures spécialisées ne soient en mesure de suivre. Selon la dernière enquête ObEpi-Roche (2024), 17,9 % des adultes et près de 20 % des enfants et adolescents présentent une obésité. Or, seuls 37 centres spécialisés obésité (CSO) sont répartis sur le territoire, générant des délais d’attente de plusieurs mois.

L’accès élargi à des traitements prisés

En ouvrant la prescription, les autorités entendent faciliter l’accès à un traitement qui, selon plusieurs études, peut améliorer significativement certains marqueurs de santé chez les patients obèses. « La majorité des personnes concernées sont suivies par leur médecin généraliste, pas par des spécialistes hospitaliers », rappelle le professeur Pierre Cochat, président de la commission de la transparence à la Haute Autorité de santé (HAS). L’ANSM reconnaît que la limitation aux seuls spécialistes « a pu freiner l’accès à certains patients ».

Parallèlement, le cadre d’indication a été élargi : les agonistes du GLP-1 peuvent désormais être prescrits en deuxième recours dès un indice de masse corporelle (IMC) de 27, en présence d’une comorbidité (diabète, hypertension, etc.), ou de 30 en l’absence de pathologies associées. Une évolution qui aligne la France sur le périmètre européen, mais qui soulève aussi des inquiétudes sur l’ampleur de la population désormais éligible.

Une efficacité démontrée, mais sur des profils ciblés

L’élargissement de l’indication repose notamment sur des essais cliniques de grande ampleur. L’étude SELECT, publiée en 2023 dans le New England Journal of Medicine, a montré une réduction du risque cardiovasculaire chez des patients obèses ayant des antécédents dans ce domaine, traités par sémaglutide. Mais ces résultats ne s’appliquent pas à l’ensemble des patients.

Chez les personnes sans pathologie cardiovasculaire avérée, les données manquent encore sur l’impact à long terme. La prévention du diabète, de l’arthrose ou d’autres complications n’a pas été démontrée de manière robuste. Les essais dépassent rarement trois années de suivi. « Il faut des données tangibles sur le bénéfice en prévention de la mortalité cardiovasculaire », insiste le Pr Cochat.

Une explosion du marché, portée par les industriels

L’élargissement de la prescription intervient dans un contexte de croissance fulgurante du marché mondial des agonistes du GLP-1, estimé à plus de 100 milliards de dollars à l’horizon 2030 (Bloomberg, 2025). Novo Nordisk et Eli Lilly, leaders du secteur, multiplient les investissements en Europe. Le 26 mai dernier, Novo Nordisk a inauguré de nouvelles lignes de production à Chartres, en présence de trois ministres français, signe de l’importance stratégique que la France accorde désormais à cette filière.

La promesse de débouchés massifs, dopée par la perspective de formulations orales attendues dès 2026, suscite un engouement que certains acteurs comparent à celui des débuts du marché des statines.

Coût, abandon, effets indésirables : les limites du modèle

Ces médicaments sont néanmoins coûteux : environ 300 euros par mois, et non remboursés en France à ce jour – contrairement à la Suisse ou au Royaume-Uni, qui ont intégré certains de ces traitements dans leurs systèmes publics. Selon une étude de l’Assurance maladie publiée en juin 2025, près de 65 % des patients non diabétiques abandonnent le traitement avant un an, principalement en raison d’effets secondaires (troubles digestifs, pancréatites, complications biliaires) ou du coût élevé.

La reprise de poids après arrêt est fréquente. Le traitement, pour être efficace, doit être poursuivi sur le long terme, posant la question de sa soutenabilité tant sur le plan individuel que collectif.

Un tournant politique en préparation

Le gouvernement, conscient de l’ampleur du sujet, a annoncé le lancement d’un plan national sur l’obésité pour septembre 2025. Piloté par Yannick Neuder, député de l’Isère et rapporteur pour la santé publique, ce plan devrait aborder les modalités de prise en charge de ces traitements, sans que la question du remboursement ait pour l’instant été tranchée.

Le débat s’annonce complexe : entre exigences de santé publique, contraintes budgétaires et pression des laboratoires, les arbitrages à venir engageront directement l’Assurance maladie et la régulation des politiques de prévention.

Une société face à la médicalisation de la perte de poids

Au-delà des aspects médicaux et économiques, l’extension de l’usage des agonistes du GLP-1 soulève une série de questions éthiques. Médicaliser la perte de poids dans une société marquée par une forte pression esthétique risque de brouiller la frontière entre soin et performance, prévention et norme.

Une enquête Ipsos réalisée en juin 2025 montre que 80 % des personnes en surpoids connaissent ces traitements, mais qu’une majorité d’entre elles expriment des réticences liées aux effets indésirables, au coût, et à la perspective d’un traitement à vie. L’ANSM a mis en place un programme de pharmacovigilance renforcée pour encadrer leur usage, mais les effets à long terme sur la société demeurent difficiles à anticiper.



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