Decathlon : Van Rysel invente le vélo haut de gamme grand public

Né d’un projet stratégique chez Decathlon, Van Rysel entend bousculer le cyclisme pro avec un vélo haut de gamme à prix réduit.

En cinq ans à peine, Van Rysel, la marque performance de Decathlon, est passée du statut de projet interne à celui d’acteur central du cyclisme professionnel. Désormais présente sur le Tour de France, elle combine innovation technique, stratégie industrielle ambitieuse et résultats sportifs tangibles. Même si les prix de vente restent conséquents, les vélos de gamme sont bien moins chers que leurs concurrents.

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La genèse d’un projet stratégique

À la fin des années 2010, Decathlon fait un constat sans ambiguïté. Lorsqu’un cycliste sur route progresse, gagne en exigence et en moyens, il quitte presque systématiquement l’enseigne pour se tourner vers des marques établies comme Pinarello, Bianchi, Specialized ou Canyon. Une perte jugée “cruelle et économiquement coûteuse” par l’entreprise, bien décidée à ne plus abandonner cette clientèle à fort potentiel.

En décembre 2017, Nicolas Pierron, alors chef de produits vélo chez B’Twin et triathlète confirmé, initie une réflexion qui donnera naissance à Van Rysel. Le projet reçoit rapidement le soutien de la famille Leclercq, fondatrice de Decathlon. Il devient officiellement un “projet stratégique”, doté d’une large autonomie et d’un accès aux ressources du groupe : ingénierie, achat, distribution, financement.

Présentée pour la première fois au salon Velofollies en 2019, Van Rysel naît ainsi à la croisée de deux ambitions : affirmer la capacité de Decathlon à produire du haut de gamme, et conserver les clients passionnés qui franchissent un seuil dans leur pratique.

La crédibilité par la compétition

Pour s’imposer dans un univers dominé par des marques historiques, Van Rysel choisit de s’appuyer sur un principe simple : la preuve par la performance. “Il fallait gagner sur la route”, résume Nicolas Pierron. Ce “marketing par la preuve” prend forme avec l’intégration de Van Rysel comme équipementier officiel de l’équipe professionnelle Decathlon–AG2R La Mondiale dès 2024.

L’annonce du changement d’équipement suscite initialement des réserves. Les coureurs, habitués aux vélos BMC, accueillent avec prudence l’arrivée des nouveaux modèles. Lors d’un premier stage en Sierra Nevada en 2023, l’équipe Van Rysel attend fébrilement le verdict des professionnels. “Ils ont tous levé le pouce dès les premiers kilomètres”, se souvient Pierron. L’adoption rapide des vélos par les coureurs – grimpeurs, sprinteurs, rouleurs – apporte une première validation concrète.

La saison 2023–2024 consacre cette bascule. Avec 30 victoires et 70 podiums, dont un doublé sur les championnats de France (route et contre-la-montre), l’équipe renforce sa légitimité. Elle progresse de la 18e à la 6e place du classement UCI. En 2025, le nouveau RCR-F permet déjà à Sam Bennett et Dorian Godon de s’imposer à trois reprises au sprint.

Le RCR-F : un vélo pro pour le grand public

Dévoilé en mars 2025, le RCR-F symbolise l’ambition de la marque : rendre accessible un niveau de performance jusque-là réservé à l’élite. Développé en partenariat avec Swiss Side pour l’aérodynamisme, Deda pour le cockpit, et validé sur route avec l’équipe AG2R, il intègre des standards techniques équivalents à ceux du WorldTour.

Le cadre, en carbone Super Haut Module, a été conçu après l’évaluation de six prototypes. Il allie légèreté et rigidité, tout en respectant les normes UCI. Le tube de direction est 7 % plus rigide que celui du modèle RCR Pro, et le boîtier de pédalier renforcé assure un transfert de puissance optimal. Le cockpit présente un flare de 12°, pensé pour améliorer la prise en main en sprint.

L’optimisation aérodynamique, constante chez Van Rysel, se prolonge dans les moindres détails : retrait partiel de la peinture pour alléger le cadre de 200 grammes, tests sur les chaussettes blanches pour réduire la traînée. Le vélo pèse 7,5 kg en version Dura-Ace et offre un gain de 13 watts par rapport au RCR.

Conçu pour des vitesses élevées, le RCR-F est destiné aux parcours plats à légèrement vallonnés, avec un rendement optimal au-dessus de 35 km/h. Il peut également accueillir un kit aérobars, répondant aux besoins des triathlètes amateurs.

Stratégie commerciale offensive

L’un des leviers majeurs de Van Rysel reste son positionnement tarifaire. À performances comparables, les modèles haut de gamme concurrents s’affichent entre 15 000 et 20 000 euros. Le RCR-F, dans sa version la plus avancée, est proposé à 9 000 euros. “Nos clients ont le sentiment de mettre leur argent au bon endroit”, souligne Nicolas Pierron. Le RCR d’entrée de gamme, à 1 600 euros, est perçu comme imbattable en termes de rapport qualité-prix.

Le succès commercial suit. Avec plus de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires, la marque confirme la pertinence de son modèle. Cette dynamique alerte les marques historiques, qui voient en Van Rysel un concurrent sérieux, capable de combiner image de performance et puissance de distribution.

Van Rysel bénéficie du maillage de Decathlon, tout en renforçant sa présence dans des enseignes spécialisées et en développant ses propres boutiques. Six points de vente 100 % Van Rysel ont déjà ouvert, en France comme à l’étranger.

La diversification vers le textile et les accessoires participe également à cette stratégie. Deux tiers du chiffre d’affaires proviennent du textile, qui joue un rôle de porte d’entrée. La même exigence de performance s’y applique, dans une logique de gains aérodynamiques mesurés et revendiqués.

Un immense marché

Malgré cette progression rapide, la direction de Van Rysel estime ne détenir que 5 % du marché visé. “Il nous reste 95 % à conquérir”, affirme Pierron. L’agenda est clair : 2024 fut “l’année de la construction”, 2025 doit être celle de la consolidation, et la période 2026–2028 marquera l’élargissement de l’ambition.

Sur le plan sportif, l’équipe souhaite attirer de jeunes coureurs capables de briller sur les classiques. L’objectif est de faire du matériel Van Rysel un outil de victoire au plus haut niveau. Gagner Paris-Roubaix devient un horizon symbolique. “Le jour où on gagnera, on demandera que ça devienne un jour férié”, plaisante Pierron.



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