Canal+ : qui est vraiment Maxime Saada ?

Il a changé Canal+, renoncé à la Ligue 1 et conquis l’Afrique : qui est Maxime Saada, stratège hors norme et négociateur redoutable ?

C’est par une déclaration brève et ferme que Maxime Saada, président du directoire de Canal+, a officialisé, le vendredi 27 juin, la fin des négociations entre la chaîne cryptée et la Ligue de football professionnel pour la diffusion de la Ligue 1 : « Canal+ jette l’éponge. » Ce désengagement acte la volonté de Saada de ne plus plier aux règles d’un marché dont il conteste les équilibres et les méthodes.

Cette décision s’inscrit dans une stratégie globale de transformation entamée il y a près d’une décennie. À la tête de Canal+ depuis 2015, Maxime Saada a redéfini en profondeur le modèle économique et la projection internationale du groupe. Dirigeant méthodique, homme de réseaux et fin connaisseur des rapports de force, il a accompagné, souvent devancé, les mutations d’un secteur en recomposition permanente. Portrait d’un stratège aux manœuvres discrètes mais décisives.

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Parcours d’élite et culture du résultat

Né à Paris en 1970 dans une famille de pharmaciens, Maxime Saada grandit rue du Faubourg-Saint-Honoré. Il suit un parcours académique classique des élites françaises : Sciences Po Paris, promotion 1992, puis MBA à HEC en 1994. Très tôt, il développe une sensibilité internationale. De 1994 à 1998, il rejoint la Délégation à l’aménagement du territoire (DATAR) aux États-Unis, où il œuvre à convaincre les entreprises américaines d’investir en France. Cette expérience fondatrice, à Houston puis New York, le familiarise avec les codes de l’économie anglo-saxonne et lui donne une première immersion dans la logique de marché et le pragmatisme des affaires.

En 1999, il intègre McKinsey & Company, où il restera cinq ans. Il y affine une approche analytique rigoureuse, principalement dans les télécoms et la distribution. Il y rencontre Rodolphe Belmer, avec qui il partage un bureau et noue une relation professionnelle durable. Cette période l’initie à la modélisation stratégique, compétence qu’il déploiera plus tard avec efficacité dans l’univers des droits audiovisuels.

De conseiller stratégique à patron de Canal+

En 2004, il entre chez Canal+ comme directeur de la stratégie, recruté par Belmer. Dès son arrivée, il est perçu comme une “grosse tête” par ses pairs, un cerveau plus qu’un homme d’antenne. Il gravit méthodiquement les échelons : marketing, distribution, édition des chaînes, jusqu’à devenir le successeur naturel de Rodolphe Belmer.

Le 10 juillet 2015, dans un contexte de reprise en main du groupe par Vincent Bolloré, il est nommé directeur général. Une nomination qu’il n’avait ni anticipée ni souhaitée. “Je pensais que ça durerait deux ou trois mois”, confiera-t-il plus tard. Trois ans plus tard, il devient président du directoire, cumulant les fonctions stratégiques au sein du groupe Vivendi (PDG de Dailymotion depuis 2016, président de Studiocanal depuis 2018).

Une vision du média comme plateforme mondiale

Sous sa direction, Canal+ opère une transition vers un modèle moins dépendant de la télévision linéaire. Le développement de myCanal devient la clef de voûte de cette stratégie numérique. L’application devient non seulement un outil de distribution, mais aussi une interface intelligente entre les contenus et les abonnés. En parallèle, Canal+ adopte une posture inédite d’agrégateur de services concurrents : Netflix, Apple TV+, Disney+, puis Max ou Paramount+ sont intégrés à l’offre Canal+, dans une logique dite “win-win-win” : bénéfice pour le consommateur, pour les plateformes, et pour l’agrégateur.

Ce modèle hybride permet à Saada de repositionner Canal+ comme un intermédiaire à forte valeur ajoutée, capable de fidéliser ses abonnés sans nécessairement produire tous ses contenus. Il change ainsi la nature même de la chaîne cryptée, qui devient un hub central dans l’économie du streaming européen.

L’art de la négociation au service du groupe Bolloré

Saada l’a souvent dit : il ne veut pas dépendre d’un seul marché. Cette conviction se traduit par une stratégie d’expansion offensive. Le groupe prend des participations dans Viaplay (12 %) en Scandinavie, dans Viu (26,1 %) en Asie, et engage une offre publique d’achat sur le groupe sud-africain MultiChoice. Ce dernier projet, estimé à 1,5 milliard d’euros, permettrait à Canal+ de doubler sa base d’abonnés, atteignant les marchés anglophones et lusophones du continent africain. Début 2025, Canal+ compte plus d’abonnés à l’international (17 millions) qu’en France.

Ces investissements renforcent la stature internationale du groupe, qui opère désormais dans plus de 50 pays. Cette ouverture géographique répond à une double nécessité : amortir les risques du marché français et atteindre les économies d’échelle nécessaires à la compétition avec les géants du streaming.

Maxime Saada cultive une posture de discrétion. Il n’aime pas se mettre en avant, mais assume une franchise directe dans les échanges professionnels. “Très bien élevé, mais dur en négo”, résume un proche. Il affectionne les citations de Michael Crichton sur les relations à Hollywood, et s’identifie à Tom Hagen, conseiller loyal mais lucide du Parrain. Son style managérial combine exigence analytique et sens du rapport de force. Il privilégie les décisions efficaces aux postures.

Sa loyauté envers Vincent Bolloré est entière. Il accepte les décisions du groupe, y compris les plus polémiques, tout en les accompagnant d’un sens de l’exécution redoutable. Il ne s’est jamais exprimé publiquement contre la suppression des Guignols, ni contre l’évolution éditoriale de CNews, qu’il ne cautionne pas nécessairement en privé. Son positionnement est clair : dire ce qu’il pense en amont, mais appliquer sans réserve une fois l’arbitrage rendu.

L’art de la négociation au service du groupe Bolloré

L’abandon de la Ligue 1 s’inscrit dans une suite de décisions de rupture prises depuis deux ans. En janvier 2024, Canal+ finalise le rachat d’OCS et d’Orange Studio. Au printemps 2025, le groupe annonce son retrait de la TNT, une décision qui entraîne la disparition de C8 et un plan social de grande ampleur. Là encore, Saada privilégie l’efficacité économique à la présence symbolique.

L’entrée en Bourse de Canal+ à Londres, en décembre 2024, s’est traduite par une chute de 22 % de l’action dès le premier jour. Mais la direction assume un horizon de moyen terme. Pour Saada, il s’agit d’une étape structurante dans le démantèlement de Vivendi et dans la projection autonome de Canal+ sur les marchés internationaux.

Un bilan contrasté, une stratégie cohérente

À 54 ans, Maxime Saada élargit son influence au-delà de l’audiovisuel. En 2023, il devient président de l’Olympia et vice-président du groupe Lagardère. En janvier 2025, il lance la Fondation Canal+, destinée à favoriser l’accès aux métiers de la culture. Ces fonctions renforcent sa position centrale dans l’architecture du groupe Bolloré, dont il est l’un des exécutants les plus constants et les plus efficaces.

En une décennie, Maxime Saada a doublé le nombre d’abonnés de Canal+, triplé sa présence géographique, et modernisé en profondeur son modèle de distribution. En 2024, le groupe affiche un chiffre d’affaires de 6,45 milliards d’euros, en croissance. Il demeure le premier financeur du cinéma français. Quelques voix s’élèvent encore pour dénoncer l’effacement de “l’esprit Canal”, l’abandon d’un certain ton éditorial, la disparition d’émissions d’investigation. Mais, Maxime Saada n’a jamais prétendu restaurer un âge d’or. Il a pris acte des nouvelles règles du jeu, et repositionné Canal+ comme acteur hybride : entre plateforme technologique, distributeur international, et partenaire des grands studios. Il reste à savoir si cette stratégie lui permettra d’ancrer durablement Canal+ dans la nouvelle géographie mondiale du divertissement, sans perdre ce qui faisait, hier encore, sa singularité.


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