Jeff Bezos : un mariage pour le meilleur et pour le fric

Mariage de Jeff Bezos : fastes, jets privés, et colère des vénitiens. Un événement qui cristallise tensions sociales et dérives du tourisme de luxe.

Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, s’offre un mariage pharaonique au cœur de Venise. Les festivités, prévues sur plusieurs jours, ont mobilisé un dispositif logistique hors norme et occupé plusieurs lieux emblématiques de la cité lacustre.

Initialement prévue à la Scuola Grande della Misericordia, la réception a été déplacée à l’Arsenale, un site plus sécurisé et moins accessible aux manifestants. La liste d’invités, mêlant figures du divertissement et personnalités politiques, incluait notamment Leonardo DiCaprio, Oprah Winfrey, Kim Kardashian, Mick Jagger, Orlando Bloom, Ivanka Trump ou encore Tom Brady.

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Les hôtels les plus luxueux ont été intégralement réservés, une flotte de bateaux a été affrétée, et l’aéroport Marco Polo a enregistré pas moins de 95 demandes d’atterrissage de jets privés.

L’union, officialisée six ans après la révélation de leur relation, parachève une trajectoire amoureuse très médiatisée. Le couple s’était affiché pour la première fois en 2019, à la suite de la divulgation de messages privés, alors que chacun était encore marié. Leur histoire est rapidement devenue indissociable des choix publics — et privés — de Jeff Bezos, notamment dans le domaine spatial, où Sánchez a participé à un vol Blue Origin 100 % féminin, très critiqué pour son impact environnemental.

Un mariage de milliardaire au cœur d’une cité saturée

L’arrivée de Bezos et de ses invités intervient dans un contexte local particulièrement tendu. Depuis plusieurs années, Venise souffre d’un afflux touristique incessant, d’une spéculation immobilière galopante et d’un exode progressif de ses habitants.

La privatisation temporaire de lieux historiques et la saturation logistique imposée par le mariage ont ravivé un sentiment d’usurpation. Pour nombre de Vénitiens, cet événement incarne la dépossession croissante de leur ville, devenue selon leurs mots « un décor de luxe pour les plus fortunés ».

La mobilisation citoyenne face à la privatisation de Venise

La réaction a été immédiate. Dès le début des festivités, les murs de la ville ont été couverts d’affiches portant le slogan « No space for Bezos ». Un collectif du même nom, composé d’environ 300 militants locaux, a coordonné la mobilisation. À leurs côtés, des activistes écologistes et des représentants de Greenpeace ont mené plusieurs actions ciblées.

Une bannière géante montrant Bezos hilare, avec en légende « Si tu peux louer Venise pour ton mariage, tu peux payer plus d’impôts », a été déployée sur la place Saint-Marc. Les manifestants ont menacé de bloquer les accès fluviaux à l’aide de canoës et de crocodiles gonflables — des initiatives jugées crédibles et qui ont pesé dans la décision de déplacer le lieu de réception.

L’opposition ne vise pas uniquement la personne de Jeff Bezos. Elle s’articule autour de ce qu’il incarne : une forme de capitalisme mondialisé, insensible aux équilibres écologiques et aux tissus sociaux locaux.

Jeff Bezos et la tentation philanthropique

Face à la montée de la contestation, Jeff Bezos a annoncé un don d’un million de dollars, réparti entre l’Université internationale de Venise, le bureau local de l’UNESCO et un consortium scientifique dédié à la lagune. Officiellement, ce geste visait à contribuer à la préservation d’un écosystème menacé. Les invités, quant à eux, étaient encouragés à soutenir des associations vénitiennes plutôt que d’offrir des cadeaux.

L’initiative, cependant, a été fraîchement accueillie. Pour la majorité des militants et une partie des habitants, ce don a été perçu comme une tentative maladroite de calmer les critiques par un geste financier. L’ampleur de l’événement, sa dimension ostentatoire et son impact environnemental ont largement occulté l’effort philanthropique, qualifié par certains de « geste de façade ».

Un point de vue plus nuancé émane de certains commerçants et artisans locaux, pour qui cette exposition, malgré les tensions, a offert une visibilité et des revenus bienvenus. Mais la majorité des réactions soulignent le décalage entre les moyens mobilisés pour l’événement et les difficultés structurelles auxquelles la ville est confrontée.

Venise, symbole d’un monde qui se fracture

Ce mariage, par son ampleur, son contexte et ses répercussions, dépasse le registre du fait divers. Il agit comme un révélateur : celui des fractures qui se creusent entre des élites mondialisées et des populations locales mises à l’écart. Il illustre la manière dont certaines villes, comme Venise, basculent progressivement d’un statut de lieu de vie à celui de scène événementielle pour les plus riches.

La colère exprimée à cette occasion n’est pas uniquement dirigée contre un individu ou une entreprise. Elle désigne un modèle : celui d’un capitalisme sans ancrage, capable de déplacer ses moyens, ses fêtes et ses récits sans tenir compte des lieux où ils s’installent. La saturation touristique, la montée des loyers, la difficulté à maintenir des services publics fonctionnels et la disparition progressive des habitants permanents sont autant de symptômes d’un système plus large, dont le mariage Bezos/Sánchez aura été un épisode particulièrement visible.


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