En 2024, plus de 9 millions de Français ont eu recours aux benzodiazépines. Derrière cette consommation de masse, une réalité de plus en plus inquiétante : prescriptions excessives, banalisation des risques, dépendances sévères. Les jeunes sont en première ligne. Le système de santé peine à répondre.
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Une dépendance nationale : chiffres et tendances
La France entretient une relation durable avec les benzodiazépines, ces médicaments principalement utilisés contre l’anxiété et l’insomnie. En 2024, plus de 9 millions de personnes en ont consommé. L’alprazolam – mieux connu sous son nom commercial, Xanax – figure parmi les molécules les plus prescrites.
En Europe, seule l’Espagne devance la France en volume. À l’échelle mondiale, l’Hexagone se situe au 7e rang, derrière le Portugal et la Hongrie. Malgré une légère baisse observée depuis 2012, les autorités sanitaires évoquent une diminution « modeste », insuffisante au regard des risques encourus.
Une étude récente révèle que plus d’un tiers des patients ayant consommé une benzodiazépine ne perçoivent pas de danger associé à ce traitement. Une banalisation préoccupante, dans un contexte où les prescriptions restent largement supérieures aux recommandations officielles.
Des effets à long terme
En 2015, 13,4 % de la population française avait déjà consommé une benzodiazépine. Cette année-là, 117 millions de boîtes ont été vendues. En 2024, plus de 4 Français sur 10 déclarent utiliser ponctuellement des médicaments pour dormir ou apaiser une anxiété.
L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) recommande un usage limité : quelques jours à trois semaines pour l’insomnie, jusqu’à douze semaines pour les troubles anxieux. Pourtant, 40 % des patients traités dépassent ces durées, soit 3,6 millions de personnes. Les effets secondaires sont bien documentés : troubles cognitifs, somnolence, chutes, accidents de la route, dépendance physique et psychique.
Une jeunesse de plus en plus exposée
Entre 2014 et 2021, la consommation d’anxiolytiques chez les mineurs a augmenté de 62 %. Chez les jeunes filles de moins de 19 ans, la hausse atteint 40 % en six ans. Les données de 2024 indiquent que 45 % des jeunes âgés de 11 à 15 ans présentent des troubles anxieux, dont 8 % souffrent d’une forme sévère.
Cette tendance s’inscrit dans une augmentation généralisée des prescriptions de psychotropes chez les jeunes : en 2023, près de 936 000 personnes âgées de 12 à 25 ans ont été remboursées pour au moins un psychotrope, soit +18 % en quatre ans.
Une part non négligeable de cette population détourne les médicaments à des fins récréatives. Selon le Réseau français d’addictovigilance, la France se classe au troisième rang mondial en nombre de cas de mésusage de l’alprazolam sur la période 2011–2020. L’effet recherché est euphorisant, notamment lorsqu’il est combiné à de l’alcool ou à d’autres substances.
En France, 90 % des prescriptions de benzodiazépines sont délivrées par des médecins généralistes. Les psychiatres, pourtant spécialistes des troubles anxieux, n’en réalisent que 7 %. Cette répartition interroge sur la formation des prescripteurs et leur accompagnement des patients.
Certains médecins sont eux-mêmes consommateurs. Une étude conduite en Alsace-Moselle indique que les généralistes prenant des benzodiazépines sont huit fois plus susceptibles d’en prescrire, et plus de trente fois plus enclins à prescrire des hypnotiques. En 2018, 10 % des généralistes de cette région avaient eux-mêmes reçu une ordonnance pour ce type de traitement.
Le marché parallèle : face cachée de l’addiction
La popularité croissante du Xanax a donné lieu à l’émergence d’un marché noir. Sur Instagram, Snapchat ou TikTok, les produits contrefaits circulent largement. En 2013, plus d’un million de faux comprimés ont été saisis à l’aéroport de Zurich. En France, le trafic s’organise localement, avec des prix variant de 2 à 30 euros.
Ces produits sont souvent fabriqués dans des laboratoires clandestins et peuvent contenir des substances dangereuses, y compris des opioïdes de synthèse. Les risques de surdosage ou d’intoxication sont majeurs.
Aux États-Unis, le Xanax figure parmi les dix substances les plus impliquées dans les overdoses mortelles. En France, les décès liés directement aux benzodiazépines restent peu documentés, mais leur rôle dans les chutes, les accidents de la route et les troubles cognitifs est établi.
Le coût économique est également important. En 2017, l’Assurance maladie a consacré plusieurs dizaines de millions d’euros aux traitements à base de benzodiazépines, sans compter les coûts indirects liés aux hospitalisations, aux arrêts de travail et à la perte de productivité.
Sevrage : le chemin difficile vers la sortie
Les témoignages de patients illustrent la complexité du sevrage. Sur les forums spécialisés, les récits décrivent des symptômes prolongés : frissons, sueurs, sensations corporelles diffuses. L’arrêt brutal peut provoquer une crise anxieuse aiguë, des hallucinations, des convulsions.
Une patiente écrit : « Je me suis anesthésiée de cette façon, avec l’aval de mes médecins et de mes proches pendant sept ans. »
Quelles solutions pour lutter contre cette addiction ?
Campagne 2025 : sensibilisation et communication
Le 10 avril 2025, l’ANSM a lancé une campagne nationale de sensibilisation dans le cadre de la Grande cause nationale dédiée à la santé mentale. Slogan : « Anxiété, insomnie : les médicaments, une aide temporaire, pas une solution permanente. » L’initiative cible prioritairement les 18–25 ans, avec un dispositif multicanal mobilisant affiches, vidéos et partenariats avec des créateurs de contenu.
Des boites plus petites
L’ANSM a également demandé aux laboratoires de proposer des boîtes plus petites, de 5 à 7 comprimés, afin de réduire les risques de surdosage. Selon l’agence, 90 % des laboratoires ont répondu favorablement.
Des centres spécialisés comme le CERLAM, ouvert en 2022 à l’hôpital Édouard Herriot de Lyon, proposent une prise en charge multidisciplinaire des addictions médicamenteuses. L’établissement attend environ 200 patients pour sa première année.
Des cures thermales conventionnées, comme celles proposées aux Thermes de Saujon, complètent l’offre. Le programme SPECTh de 2015 avait déjà montré des résultats encourageants : six mois après la cure, 41 % des participants avaient cessé tout traitement anxiolytique, 80 % avaient réduit leur consommation de moitié.
Nouvelles alternatives thérapeutiques
Le dispositif « Mon soutien Psy », amélioré en 2025, permet désormais un accès direct à un psychologue conventionné, sans passer par le médecin traitant. Le nombre de séances remboursées passe de 8 à 12.
Des techniques de neurostimulation, telles que la stimulation magnétique transcrânienne (r-TMS) ou la stimulation transcrânienne à courant direct (tDCS), sont également en cours de déploiement. La clinique Belle Allée, dans le Loiret, propose des cycles de 20 séances à raison de cinq par semaine.