Nantes : la faillite de Valdemar Kita

Succès dans l’industrie, fiasco dans le football : retour sur le parcours chaotique de Waldemar Kita à la tête du FC Nantes.

Depuis plus de 18 ans à la tête du FC Nantes, Waldemar Kita suscite incompréhension et frustration. L’homme qui a bâti deux empires dans l’industrie médicale, multipliant les succès et les cessions stratégiques à des multinationales, est aussi celui dont la présidence du club nantais est marquée par l’instabilité, l’inefficacité et le rejet d’une large partie des supporters. Ce contraste saisissant interroge : comment un entrepreneur aussi avisé a-t-il pu échouer à ce point dans le domaine du football ?

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Un parcours d’intégration et d’ascension

Né le 7 mai 1953 à Szczecin, en Pologne, Waldemar Kita est issu d’un milieu privilégié de la nomenklatura communiste. Son père, colonel de l’armée et proche du général Jaruzelski, meurt brutalement d’une crise cardiaque en 1967. Waldemar Kita, alors adolescent, s’exile en France avec sa mère. Ils s’installent à La Mure, près de Grenoble.

Le jeune exilé s’intègre rapidement. Il passe son baccalauréat, poursuit des études d’optométrie, se marie avec une Française, et commence à tracer son chemin dans le secteur de la santé oculaire. Diplômé en optique-optométrie, il entame sa carrière dans les lentilles de contact dès 1975. Sa détermination et son endurance le distinguent très tôt : des années passées à écumer les routes de France au volant d’une Renault 5, à raison de 150 000 kilomètres par an, forgent son expérience commerciale et son réseau.

Cornéal, première réussite industrielle

En 1987, Waldemar Kita fonde avec deux associés les Laboratoires Cornéal, à Pringy, en Haute-Savoie. L’entreprise se spécialise dans les lentilles intraoculaires pour le traitement de la cataracte et du glaucome. Elle connaît un développement rapide, devenant le leader français et l’un des principaux acteurs européens du secteur. En 2005, Cornéal emploie 350 personnes et réalise un chiffre d’affaires de 56 millions d’euros.

Le tournant décisif intervient avec l’intuition d’un nouveau marché : l’acide hyaluronique. Initialement utilisé en ophtalmologie, cette molécule s’impose dans le secteur de la médecine esthétique. Cornéal développe les gammes Juvederm et Surgiderm, utilisées pour le comblement des rides. Le succès est mondial. Allergan, le géant américain propriétaire du Botox, identifie Cornéal comme un concurrent stratégique. En décembre 2006, Waldemar Kita vend son entreprise pour 170 millions d’euros, transaction réalisée intégralement en numéraire. Il détenait encore 75 % du capital.

Vivacy, la confirmation

Dès 2007, Waldemar Kita repart de zéro avec Vivacy, installé à Archamps, à quelques kilomètres de son ancienne usine. La stratégie est claire : reproduire le modèle de Cornéal, renforcer la recherche, viser l’export. En cinq ans, Vivacy atteint un chiffre d’affaires de 17 millions d’euros et distribue ses produits dans 75 pays. L’acide hyaluronique reste au cœur du développement, avec des applications élargies à la rhumatologie, l’ophtalmologie, ou encore la médecine intime.

En décembre 2022, Kita revend Vivacy au fonds d’investissement Bridgepoint pour environ 900 millions d’euros. Sa fortune est estimée à 650 millions d’euros par le magazine Challenges, qui le classe parmi les 150 premières fortunes françaises.

Entre ambition et rentabilité incertaine

Parallèlement, Waldemar Kita multiplie les initiatives. En 2008, il co-fonde Valljet, compagnie d’aviation d’affaires dont le siège social est situé à Mauges-sur-Loire. Avec 30 appareils et 150 salariés, Valljet affiche un chiffre d’affaires de 59 millions d’euros en 2021 et un résultat net de 2 millions.

En 2010, il rachète la source d’eau de Treignac, en Corrèze, avec l’ambition de créer une marque haut de gamme. « La source date du XIVe siècle… je veux en faire l’Hermès de l’eau », déclare-t-il. Positionnée dans des établissements de luxe comme le Plaza Athénée ou La Grande Épicerie, la marque reste cependant déficitaire.

Le FC Nantes : 18 ans d’échec

Lorsque Waldemar Kita rachète le FC Nantes en 2007, le club vient d’être relégué en Ligue 2. L’ambition affichée est claire : redonner au club ses lettres de noblesse. Mais 18 ans plus tard, le constat est amer. Aucune qualification européenne significative, pas de titre majeur (en dehors de la Coupe de France en 2022, obtenue malgré lui plus que grâce à lui), une instabilité chronique : 20 entraîneurs remerciés en moins de deux décennies.

La méthode Kita, fondée sur un contrôle total et un management autoritaire, semble inadaptée au monde du football. Lui qui a su fidéliser ses ingénieurs et commerciaux se montre défiant envers les entraîneurs et les joueurs. « Je ne ferai jamais confiance à un entraîneur », déclare-t-il un jour. Cette philosophie verticale, héritée de l’industrie, heurte de plein fouet les codes d’un sport fondé sur l’humain, l’aléatoire et l’émotion.

Les supporters, d’abord bienveillants, deviennent au fil des années ses détracteurs les plus virulents. Banderoles, manifestations, boycott de matches : l’opposition est devenue structurelle. Le stade de la Beaujoire, autrefois fief d’un football collectif et audacieux, s’est transformé en théâtre de tension permanente.

Les ombres judiciaires

En 2016, le nom de Waldemar Kita apparaît dans les Panama Papers. Il serait actionnaire de Dylan Limited, une société offshore domiciliée aux îles Vierges britanniques, propriétaire notamment d’un yacht. D’abord défensif, invoquant une possible homonymie, Kita est rapidement rattrapé par les faits.

En juillet 2022, lui et son épouse sont mis en examen pour fraude fiscale aggravée, blanchiment de fraude fiscale et évasion fiscale. L’enquête du Parquet national financier est accablante : il aurait perçu 70 millions d’euros au Luxembourg entre 2010 et 2019, sans les déclarer au fisc français. Il aurait en outre lésé l’administration fiscale de 14,8 millions d’euros au seul titre de l’impôt sur la fortune.

Plusieurs saisies pénales sont ordonnées, dont un appartement parisien et son yacht. Les poursuites judiciaires sont toujours en cours.

Un modèle intransférable

Le cas Waldemar Kita illustre une réalité souvent ignorée : le succès dans un domaine ne garantit rien dans un autre. Les méthodes de contrôle, d’anticipation technologique et d’optimisation qui font recette dans l’industrie pharmaceutique trouvent peu d’écho dans l’univers du football professionnel. Là où l’entrepreneur maîtrise les chaînes de production, le président de club affronte la volatilité du sportif, l’imprévisibilité du vestiaire, la pression émotionnelle et le regard du public.

En refusant d’adapter son mode de gouvernance, en s’entourant de fidèles plutôt que d’experts du football, Waldemar Kita semble avoir voulu reproduire un schéma d’entreprise dans un écosystème qui en rejette les fondements. Cette erreur d’analyse fondamentale explique en partie l’incapacité du FC Nantes à retrouver son rang.

Une trajectoire contradictoire

La réussite de Waldemar Kita comme entrepreneur est incontestable. Cornéal et Vivacy témoignent d’une capacité à innover, à comprendre les marchés, à construire et à vendre au bon moment. Il est aussi un exemple rare d’intégration réussie, devenu l’un des industriels les plus prospères du pays après être arrivé en France à 15 ans, sans fortune ni réseaux.

Mais cette même trajectoire rend son échec dans le football d’autant plus visible. À la tête du FC Nantes, il incarne un contre-modèle : gestion solitaire, absence de stratégie sportive cohérente, mépris affiché des spécificités du jeu et de ses acteurs. Ce désalignement structurel entre l’homme et sa fonction a produit l’un des plus longs naufrages managériaux du football français contemporain.


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