Trump 1 : le smartphone impossible de Donald Trump

Un téléphone doré, un discours identitaire… mais derrière la vitrine du smartphone Trump 1, des composants chinois et une ergonomie chaotique.

Le 16 juin, à la Trump Tower de New York, dix ans jour pour jour après l’annonce de la première candidature de Donald Trump à la présidence des États-Unis, ses deux fils, Donald Jr. et Eric, ont présenté le « Trump 1 », un téléphone mobile doré annoncé comme une alternative patriote aux géants de la tech. Vendu 499 dollars et promis pour septembre, l’appareil est présenté comme « conçu et fabriqué aux États-Unis », avec des caractéristiques techniques proches de celles du dernier iPhone. À bien y regarder, l’objet semble surtout incarner un produit politique au discours affûté, mais à la réalisation bancale.

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Une entreprise idéologique plus que technologique

Lors d’une interview sur Fox News, Eric Trump a expliqué que le lancement du téléphone s’inscrit dans une stratégie plus large de l’organisation Trump : construire un écosystème technologique alternatif à celui des grandes entreprises perçues comme hostiles aux conservateurs. Après le réseau social Truth Social, censé restaurer la « liberté d’expression », et leur engagement dans les cryptomonnaies pour « lutter contre l’exclusion bancaire des conservateurs », le téléphone Trump devient le troisième pilier de ce dispositif.

« L’immobilier a toujours été notre cœur de métier, mais désormais, nous allons créer une grande plateforme technologique », a-t-il déclaré. Selon lui, le Trump 1 sera fabriqué aux États-Unis, précisant toutefois que cela concerne les centres d’assistance client, situés notamment à St. Louis, Missouri — non la production des composants ni l’assemblage.

Un discours codé

Le site officiel de Trump Mobile met davantage en avant un forfait mensuel qu’un téléphone. Proposé à 47,45 dollars, ce « Plan 47 » — une référence aux 45e et 47e présidences que Donald Trump entend incarner — est une offre de service mobile fonctionnant sur l’infrastructure de T-Mobile via Liberty Mobile, un MVNO déjà existant.

Cette offre est largement compatible avec d’autres appareils, y compris ceux des concurrents, et la couverture repose sur les antennes d’opérateurs tiers. Commercialement, c’est le seul aspect du projet qui semble viable. La marge appliquée par rapport aux offres comparables (20 dollars chez Liberty Mobile) est significative, mais elle s’inscrit dans une logique de valorisation symbolique de l’identité politique du client : acheter Trump, c’est afficher son appartenance.

Des caractéristiques techniques en décalage avec les réalités industrielles

Le Trump 1 est annoncé avec un écran AMOLED de 6,8 pouces à 120 Hz, 12 Go de RAM, 256 Go de stockage, une caméra de 50 mégapixels et une batterie de 5000 mAh. Cependant, le site présente ces spécifications de manière approximative, voire erronée : la batterie est confondue avec la caméra (« long life camera »), et la mémoire vive est mal désignée. Ces erreurs, inhabituelles pour une entreprise qui prétend rivaliser avec les leaders du secteur, interrogent sur le sérieux technique du projet.

Les images diffusées du produit relèvent davantage de rendus numériques que de photographies d’un prototype fonctionnel.

Un modèle existant rebrandé ?

À y regarder de plus près, plusieurs spécialistes du marché ont identifié des similarités frappantes entre le Trump 1 et le REVVL 7 Pro 5G, un téléphone fabriqué par le chinois Wingtech pour T-Mobile. Le design, la fiche technique, et même des éléments rares comme la prise jack 3,5 mm sont identiques.

Disponible aux États-Unis pour environ 169 dollars, ce modèle pourrait avoir été simplement rebrandé, doré et conditionné pour coller au discours de production locale. Ce scénario, selon plusieurs analystes, est bien plus probable que celui d’un développement de zéro d’un smartphone haut de gamme sur le sol américain. D’autres modèles chinois de marques non distribuées aux États-Unis sont également cités comme sources potentielles du produit.

Une promesse industriellement irréalisable

Les experts sont unanimes : concevoir, fabriquer et assembler un smartphone complet aux États-Unis dans les délais annoncés est impossible. Todd Weaver, PDG de Purism, l’une des rares entreprises à assembler des téléphones aux États-Unis, affirme : « C’est tout simplement irréalisable. » Purism vend son Liberty Phone pour près de 2 000 dollars et reconnaît devoir importer des composants.

Francisco Jeronimo, de l’institut IDC, va plus loin : « Il est impossible que ce téléphone ait été conçu de zéro ou entièrement fabriqué aux États-Unis. »

Cette impossibilité découle de la configuration actuelle de la chaîne mondiale d’approvisionnement. La Chine produit entre 60 et 80 % des smartphones vendus dans le monde. Les écrans AMOLED, par exemple, proviennent quasi exclusivement d’Asie, tout comme les capteurs photo de haute performance. Même les entreprises américaines comme Apple ou Google assemblent leurs téléphones en Inde, au Vietnam ou en Chine.

Des précommandes chaotiques

Malgré l’absence de prototype, le site permet déjà de précommander l’appareil moyennant un dépôt de 100 dollars. Plusieurs clients, dont le journaliste Joseph Cox (404 Media), rapportent des dysfonctionnements inquiétants : paiements incorrects, absence de confirmation d’adresse, et bugs persistants. Cox parle de « la pire expérience d’achat d’un produit électronique » qu’il ait jamais vécue.

Dans d’autres cas, les montants facturés diffèrent de ceux affichés. Ces problèmes logistiques laissent présager des difficultés de gestion bien au-delà de la fabrication.

Une stratégie commerciale adossée au capital politique

Pour certains observateurs, cette initiative relève moins d’une ambition industrielle que d’une stratégie commerciale structurée autour d’un capital politique. Meghan Faulkner, directrice de l’organisation CREW (Citizens for Responsibility and Ethics in Washington), évoque un « nouveau mécanisme de monétisation de la présidence Trump », alors que l’ancien président est toujours candidat à la réélection.

Donald Trump conserve ses intérêts dans l’Organisation Trump via un trust contrôlé par ses fils. Cette nouvelle activité commerciale s’inscrit dans une logique de diversification : exploiter le pouvoir de marque du nom Trump, avec un public déjà conquis, pour générer des revenus dans des secteurs à forte visibilité, sans expertise technique avérée.

Le Trump 1, au-delà de ses promesses techniques ou de sa faisabilité industrielle, apparaît comme un produit profondément politique. Il fonctionne avant tout comme un objet de signalement identitaire, destiné à une clientèle fidèle, attachée aux valeurs patriotiques, aux récits de persécution conservatrice et à la défiance envers les grandes entreprises technologiques.


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