Radars IA : l’algorithme qui vous verbalise sans pitié

Radars intelligents, IA embarquée, surveillance urbaine : l’État transforme l’espace public en territoire sous contrôle algorithmique.

Plus besoin d’un agent au bord de la route : les radars d’un nouveau genre verbalisent à la volée, sans sommation, sans contexte, sans dialogue. Dotés d’intelligence artificielle, ces dispositifs traquent en temps réel les infractions les plus courantes — vitesse, ceinture, téléphone, distances de sécurité — avec une précision revendiquée comme implacable.

Cette surveillance permanente, automatisée est de plus en plus invisible. Piloté par algorithmes, le contrôle routier se transforme en un système de sanction sans contact humain, où la machine tranche en quelques millisecondes — et sans jamais douter.

Pour l’État, c’est une révolution technologique et budgétaire. Pour les associations d’automobilistes, une dérive autoritaire masquée par des objectifs de sécurité. Enquête sur une mutation radicale du contrôle routier, dont les implications dépassent largement le simple cadre du Code de la route.

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Des radars IA nouvelle génération

Les nouveaux dispositifs, à l’image des radars Fusion 2, sont conçus pour surveiller de manière simultanée un grand nombre de véhicules sur plusieurs voies. Dotés d’algorithmes d’analyse comportementale et d’un système de vision par caméras haute définition, ces appareils peuvent suivre jusqu’à 126 véhicules sur une distance de 100 mètres. En croisant les données visuelles avec celles issues de capteurs radar, ils identifient les comportements à risque avec un haut degré de précision, à l’image des expérimentations menées lors des Jeux olympiques de Paris 2024 pour la détection de comportements suspects dans l’espace public.

Détection des infractions avec une marge d’erreur réduite

Ceinture de sécurité

Les radars peuvent désormais détecter l’absence de port de la ceinture de sécurité à l’avant d’un véhicule, en analysant les images en temps réel. Les statistiques officielles rappellent qu’en France, 14 % des conducteurs négligent encore cette obligation. En 2022, près d’un quart des personnes tuées sur les routes ne portaient pas leur ceinture, une proportion en hausse par rapport à l’année précédente.

Usage du téléphone

Les dispositifs parviennent également à distinguer un téléphone tenu en main d’un autre objet. Les risques associés sont connus : le fait de téléphoner multiplie par trois la probabilité d’accident, et l’écriture ou la lecture de messages augmente ce risque par 23. La sécurité routière estime qu’un tiers des accidents est lié à la distraction, dont une part importante imputable au téléphone.

Distances de sécurité

L’intelligence artificielle permet aussi de mesurer la distance entre deux véhicules et de sanctionner automatiquement les infractions correspondantes. Un système qui suscite des réserves, notamment de la part de l’association « 40 millions d’automobilistes », qui pointe un défaut fondamental : lorsqu’un conducteur se fait dépasser puis couper la route de manière serrée, c’est lui qui peut être verbalisé, bien qu’il ne soit pas responsable de la situation.

Radars urbains dissimulés

Depuis 2025, la France déploie des radars urbains dissimulés dans le paysage, appelés Équipements de Terrain Urbain (ETU). Ces dispositifs sont installés sur des éléments existants — feux, lampadaires, panneaux — rendant leur présence indétectable pour la majorité des usagers. Ce changement de paradigme marque la fin d’une logique de signalisation préventive au profit d’une stratégie d’observation constante et invisible.

Les ETU permettent le contrôle de plusieurs types d’infractions : excès de vitesse, non-respect des feux tricolores, distances de sécurité et usage du téléphone. Le déploiement a débuté à Paris, Lyon, Marseille et Toulouse, avec 500 unités prévues d’ici fin 2025. Ce dispositif vise à renforcer la sécurité dans les zones où la présence policière est structurellement réduite.

Voies de covoiturage sous surveillance

Le contrôle des voies de covoiturage repose sur des technologies utilisant des caméras thermiques et des algorithmes de reconnaissance de formes. Ces dispositifs détectent la chaleur corporelle et identifient le nombre de passagers réels à bord. Le système repose sur deux caméras infrarouges prenant plusieurs clichés sous différents angles. Il peut ainsi distinguer un passager d’un mannequin ou d’un objet factice.

Les constructeurs annoncent un taux de fiabilité supérieur à 96 %. En trois semaines, plus de 4 400 infractions ont été relevées sur le périphérique parisien. Le taux de respect de la voie réservée, quant à lui, reste compris entre 30 et 50 % selon les jours.

Un milliard d’euros attendu

Pour l’année 2025, 46,3 millions d’euros sont alloués à la modernisation des équipements automatisés. Cette enveloppe couvre à la fois l’entretien du parc existant et l’installation de nouveaux dispositifs, en s’appuyant sur des technologies issues de la data science et de l’analyse algorithmique.

Les recettes attendues de l’ensemble des radars s’élèvent à un milliard d’euros : 790 millions d’euros proviendront des amendes forfaitaires, et 210 millions d’euros des amendes majorées. En incluant les autres infractions routières (stationnement, circulation), les recettes totales s’élèveraient à plus de 2,19 milliards d’euros, soit une hausse de près de 240 millions par rapport à 2024.

Seule une partie de ces recettes est directement affectée à la sécurité routière. En 2022, la Cour des comptes a constaté que 54 % des sommes récoltées étaient utilisées à cette fin. Le reste, soit 777 millions d’euros pour 2025, alimente le budget général de l’État, notamment pour le désendettement. Seuls 26 millions seront affectés à la santé publique.

Une étude de l’INSEE portant sur les communes de moins de 6 000 habitants montre que l’installation de radars fixes permet une réduction des accidents de 13 à 17 %, et une baisse de 50 à 75 % du nombre de décès dans les premiers mois. Ces effets, bien qu’atténués dans le temps, restent notables : réduction de 11 % des accidents, et entre 25 et 50 % des décès au-delà de six mois.

En extrapolant les données de la période 1998-2007, l’étude estime qu’entre 2003 et 2011, environ 740 décès et 2 750 blessures graves auraient été évités grâce à l’installation de radars fixes. Ces résultats contrastent avec la rareté des études internationales évaluant l’efficacité de ces dispositifs à moyen et long terme.

Vers une surveillance embarquée généralisée

À partir du 7 juillet 2024, tous les nouveaux modèles de véhicules homologués dans l’Union européenne devront être équipés de systèmes de surveillance du conducteur. Cette obligation, prévue par la réglementation européenne GSR2, impose l’installation de caméras capables de détecter les signes de fatigue ou de distraction. Le système doit alerter le conducteur lorsqu’il détourne les yeux de la route pendant plus de 3,5 secondes à partir de 50 km/h.

Ces dispositifs soulèvent des préoccupations importantes quant à la gestion des données personnelles. Plusieurs enquêtes révèlent que les données collectées sont parfois transmises aux assureurs sans consentement explicite. L’usage de ces informations pour ajuster les tarifs en fonction du comportement routier du conducteur est déjà en cours d’expérimentation.

À l’international, ces technologies sont en déploiement accéléré. Aux États-Unis, le système Acusensus Heads-Up, reposant sur quatre caméras infrarouges, a permis de relever 10 000 infractions en un mois dans le Minnesota. En Australie et aux Pays-Bas, des résultats similaires ont été enregistrés, avec une baisse notable des comportements à risque.

Une automatisation jugée excessive

L’automatisation du contrôle routier ne fait pas l’unanimité. L’association « 40 millions d’automobilistes » dénonce ce qu’elle considère comme un « recours à outrance à la verbalisation automatique ». Son porte-parole, Pierre Chasseray, va jusqu’à qualifier l’intelligence artificielle de « bêtise universelle », estimant que ces dispositifs poursuivent davantage un objectif financier que sécuritaire.

L’association déplore également un manque d’équité dans les sanctions, pointant notamment le cas des infractions liées aux distances de sécurité, où le contexte de la manœuvre n’est pas pris en compte par les machines.

D’autres voix, comme celle d’Anne Lavaud pour l’association Prévention Routière, insistent sur la disparition de la pédagogie. Contrairement aux contrôles humains, les radars ne laissent place à aucun échange, aucun avertissement, aucun dialogue. Cette déshumanisation du contrôle interroge sur sa légitimité à long terme.


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