Derrière la promesse d’un accès facilité à l’emploi, l’alternance est devenue un véritable parcours du combattant pour de nombreux étudiants. Démarches massives, silences des recruteurs, obstacles sociaux ou discriminatoires : décrocher un contrat relève de plus en plus du défi.
L’édition 2025 de l’étude annuelle de l’Apec révèle une tendance alarmante : 67 % des étudiants de l’enseignement supérieur déclarent avoir eu des difficultés à trouver une entreprise pour signer leur contrat d’apprentissage. Cette situation n’est pas isolée. L’Observatoire de l’alternance 2024 dresse un constat similaire : 44 % des candidats rencontrent des obstacles pour accéder à une entreprise. En miroir, 50 % des recruteurs affirment avoir des difficultés à identifier un profil correspondant à leurs besoins. Une forme de paradoxe : les offres existent, mais les réponses positives restent rares.
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Résultat : les étudiants multiplient les démarches et vivent dans l’angoisse. « J’ai contacté par écrit plus de 300 entreprises, raconte Jérémie, étudiant en troisième année d’informatique à Montpellier. Je n’ai reçu que 12 réponses qui ressemblaient à des lettres types, toutes négatives ». La saturation du marché engendre un effet mécanique : les recruteurs, submergés, répondent de moins en moins. Le phénomène du ghosting, soit l’absence totale de réponse, s’est généralisé. Une étude menée par Indeed montre que 57 % des recruteurs et des candidats reconnaissent avoir eu recours à cette pratique. Pour les jeunes, l’expérience est souvent décourageante, comme en témoignent les étudiants interrogés par Studyrama, évoquant un grand nombre d’offres sans retour, ni positif ni négatif.
Réduction des aides publiques
Parmi les facteurs expliquant cette crise, la réduction des aides publiques tient une place centrale. Depuis le 1er janvier 2025, le montant de l’aide à l’embauche d’un apprenti est passé de 6 000 euros à 5 000 euros pour les entreprises de moins de 250 salariés, et à seulement 2 000 euros pour les plus grandes. Un décret publié le 22 février 2025 (n° 2025-174) formalise cette baisse, inscrite dans une logique de réduction des dépenses publiques. Le coût du dispositif a en effet atteint 24,9 milliards d’euros en 2023, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Dans ce contexte budgétaire contraint, les entreprises reconfigurent leurs stratégies de recrutement. Plusieurs témoignages recueillis évoquent un phénomène de remplacement des postes juniors par des alternants. Une manière, pour certaines structures, de bénéficier de main-d’œuvre formée à moindre coût, sans engagement à long terme. Ce glissement brouille les lignes entre formation et emploi et restreint encore les perspectives des jeunes diplômés.
À cela s’ajoute un climat économique instable. Les embauches de cadres ont reculé de 8 % en 2024, et les prévisions pour 2025 restent orientées à la baisse. Dans un environnement marqué par les incertitudes géopolitiques et les tensions sur les budgets, les entreprises limitent la création de nouveaux postes, y compris en alternance.
Discriminations et inégalités
Les difficultés ne se répartissent pas de manière uniforme. Certains profils d’étudiants subissent des freins supplémentaires, souvent invisibles dans les statistiques globales. Une étude de l’Observatoire national des discriminations et de l’égalité dans le supérieur (ONDES) met en lumière une discrimination significative à l’encontre des femmes portant le voile. Réalisée auprès de 2 000 PME dans le secteur comptable, l’étude révèle une augmentation de 25 % des réponses négatives pour les candidatures voilées, et une baisse de plus de 80 % des chances de recevoir une réponse positive, toutes choses égales par ailleurs.
Les inégalités sociales restent également prégnantes. Les jeunes issus de milieux modestes rencontrent plus d’obstacles pour décrocher leur contrat : 75 % déclarent avoir rencontré des difficultés, contre 63 % pour les autres étudiants (Apec). En cause, l’absence de réseau professionnel, un moindre accès aux ressources d’accompagnement, et parfois des freins géographiques.
Et pourtant, l’alternance constitue pour eux un levier décisif. Une étude menée par Goodwill Management montre que ce dispositif augmente sensiblement la probabilité de poursuite d’études dans le supérieur, notamment pour les jeunes dont les parents sont employés ou ouvriers. En école d’ingénieur, l’impact est estimé à +47 %, en école de commerce à +36 %, et en master à +13 %.
Ruptures et fragilisation des parcours
Obtenir un contrat ne garantit pas un parcours sans accroc. Selon la Dares, 21 % des contrats d’apprentissage signés en 2022 ont été rompus dans les neuf premiers mois. Une augmentation significative par rapport aux taux enregistrés en 2018 (19 %) ou en 2020 (16 %, en pleine crise sanitaire). Le supérieur est particulièrement touché : +8 points entre 2017 et 2022, contre +2 points dans le secondaire. Des secteurs jusqu’ici relativement épargnés, comme l’information-communication ou la finance, enregistrent eux aussi une hausse des ruptures.
Les raisons sont multiples : inadéquation entre l’étudiant et son poste, problèmes d’intégration ou de management, difficultés financières, ou réorientation de projet professionnel. Cette instabilité engendre une précarisation accrue pour les étudiants, dont beaucoup comptent sur l’alternance pour financer leurs études. D’après une enquête de la Conférence des présidents d’université (CPU), 30 % des étudiants en alternance déclarent qu’ils n’auraient pas pu poursuivre leurs études sans ce dispositif.
CFA et établissements de formation sous pression
Face à ces difficultés, les centres de formation d’apprentis (CFA) voient leur mission évoluer. Longtemps centrés sur l’accompagnement pédagogique, ils sont aujourd’hui en première ligne pour répondre à la crise. La concurrence entre établissements se renforce, et le remplissage des effectifs devient plus incertain. Les CFA proposent désormais des services élargis : ateliers de coaching, aide à la rédaction de CV, simulation d’entretiens, suivi individualisé tout au long du parcours.
Malgré cela, les carences persistent. Seuls 7 % des alternants disent avoir bénéficié d’un parcours d’intégration spécifique, et 22 % n’ont eu ni tuteur, ni maître d’apprentissage. L’absence de repères contribue aux ruptures précoces et fragilise l’expérience d’apprentissage.
Quelles solutions ?
Des solutions émergent, mais peinent encore à répondre à l’ampleur du problème. L’Observatoire de l’alternance a formulé plusieurs propositions : développer la découverte de l’alternance dès le secondaire, renforcer l’accompagnement des jeunes, améliorer la formation aux compétences comportementales (soft skills). Cette dernière est souvent jugée insuffisante : 77 % des alternants la jugent satisfaisante, contre seulement 64 % des employeurs, alors que 61 % des ruptures de contrat sont liées au comportement de l’alternant.
Malgré les turbulences, l’alternance conserve un soutien massif. En 2025, 90 % des entreprises et 91 % des jeunes déclarent y être favorables. Le taux de satisfaction dépasse les 78 %, aussi bien du côté des étudiants que des employeurs.
À partir du 1er juillet 2025, de nouvelles règles entreront en vigueur. Les entreprises devront verser une contribution de 750 euros au financement des formations en alternance pour les niveaux bac+3 et plus. Le décret n° 2025-174 introduit par ailleurs deux nouvelles conditions d’éligibilité à l’aide à l’embauche : la transmission du contrat dans les six mois suivant sa conclusion, et l’interdiction de bénéficier de l’aide pour un contrat reconduit avec le même apprenti sur une même certification.