Arthur Mensch, l’anti-gourou de la tech

À contre-courant des figures messianiques de la tech, Arthur Mensch impose une IA utile, sobre et souveraine : l’anti-gourou que l’Europe attendait.

À 32 ans, Arthur Mensch est devenu l’une des figures les plus influentes de l’intelligence artificielle en Europe. Polytechnicien, normalien, passé par DeepMind, il dirige Mistral AI, entreprise fondée en 2023 à Paris et aujourd’hui valorisée à plus de 6 milliards d’euros. Discret, méthodique, peu enclin aux effets de manche, Mensch cultive une rigueur personnelle qui rappelle sa passion pour le cyclisme : une pratique exigeante, fondée sur la régularité, l’endurance et la concentration.

C’est cette même endurance qu’on retrouve dans son approche de l’innovation. Mistral AI, en deux ans, a franchi des étapes industrielles décisives : trois levées de fonds totalisant plus d’un milliard d’euros, un chiffre d’affaires en forte croissance, des partenariats stratégiques avec des groupes français et internationaux, et le lancement d’une infrastructure souveraine de calcul à grande échelle. Dans un paysage dominé par les géants américains, Mensch affirme une voie européenne, technique, sobre et ouverte.

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Mistral AI : d’un bureau glacial à une licorne

Les débuts ont lieu dans un bureau parisien de 40 mètres carrés sans chauffage, surnommé “le frigo”. Deux ans plus tard, Mistral AI affiche un chiffre d’affaires annuel proche de 100 millions de dollars. Ses modèles sont adoptés par des entreprises comme BNP Paribas, Stellantis ou AXA. Le groupe CMA CGM, via sa filiale de médias, investit 100 millions d’euros pour créer une “AI Factory” à Marseille. Autre signe de la solidité du projet : le partenariat stratégique noué avec NVIDIA pour créer une plateforme de calcul “souveraine” en France, équipée de 18 000 GPU Blackwell.

Dans un monde où l’infrastructure numérique est devenue une question de sécurité autant que de performance, Mensch anticipe. Il lance Eclairion, le premier centre de données de Mistral, implanté à Bruyères-le-Châtel, en Essonne. Un projet de plusieurs milliards, pensé pour aligner performance, souveraineté et sobriété carbone. “On a choisi la France pour son efficacité énergétique et la qualité de son mix électrique”, explique-t-il. Un choix rationnel, presque politique, qui s’inscrit dans une stratégie industrielle de long terme.

Mistral AI, l’anti-Silicon Valley

Arthur Mensch ne partage pas l’enthousiasme religieux de certains fondateurs de la Silicon Valley pour l’intelligence artificielle dite “générale”. Il s’en méfie même ouvertement. “Toute la rhétorique de l’AGI consiste à créer Dieu. Je ne crois pas en Dieu. Je suis un athée convaincu. Je ne crois donc pas à l’AGI”, déclarait-il au New York Times en 2024. Pour lui, la vraie révolution ne réside pas dans une IA toute-puissante, mais dans des systèmes efficaces, interopérables, utiles.

Cette approche se reflète dans sa définition précise du rôle des modèles d’IA : des composants, et non des entités autonomes. En janvier 2025, il affirme sur CNBC que “l’emphase doit transitionner des modèles vers les systèmes”. Mistral publie Saba, un modèle multilingue de 24 milliards de paramètres, entraîné sur les langues du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud, et Magistral, spécialisé dans le raisonnement logique.

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Leadership agile et diversité assumée

Chez Mistral, les équipes fonctionnent en petites cellules de quatre à cinq personnes. C’est un choix stratégique, hérité de son expérience chez DeepMind. “L’agilité est une force. Nous avons démontré qu’avec une petite équipe focalisée, nous pouvons rivaliser avec Google ou OpenAI”, affirme-t-il dans Le Monde. Ce format réduit permet de maintenir la réactivité, la cohérence technique et la responsabilité individuelle.

La diversité n’est pas un effet secondaire. Elle est intégrée dans la structure : plus de 15 nationalités, 50 % de femmes parmi les leaders. Cette hétérogénéité, rare dans l’univers des IA génératives, constitue un levier d’innovation autant qu’un engagement éthique. Mensch ne revendique pas de valeurs affichées, mais les incarne dans l’architecture même de l’entreprise.


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