The Agency vs Le Bureau des Légendes : le comparatif

Que vaut The Agency, remake américain du Bureau des légendes ?

Derrière une fidélité assumée au Bureau des Légendes, le remake affiche des différences significatives en matière de narration, d’esthétique et de lecture géopolitique.

Une évidence s’impose : la série américaine reprend de manière quasi chirurgicale l’ossature de son aînée française, Le Bureau des légendes, qui retraçait les missions clandestines de la DGSE. Des agents en immersion, opérant sous une identité fictive appelée « légende », dans un monde d’ambiguïtés morales et de tensions géopolitiques. Ce modèle, salué dans de nombreux pays, inspire aujourd’hui un remake hollywoodien qui en conserve l’essentiel tout en déplaçant l’action, les codes et les affects.

A LIRE AUSSI
Ce que la série Black Mirror dit de vous

1. D’un Bureau parisien à une Agence mondialisée

Diffusée pour la première fois en 2015, Le Bureau des légendes s’est imposée comme l’un des projets audiovisuels français les plus ambitieux et les plus maîtrisés de la dernière décennie. La série d’Éric Rochant proposait une plongée méthodique et feutrée dans l’univers du renseignement, saluée pour son réalisme et sa rigueur.

À l’origine de The Agency, on retrouve le producteur Alex Berger et l’intérêt ancien de plusieurs studios américains pour le format. L’adaptation prend forme grâce à George Clooney, producteur exécutif, et Michael Fassbender, qui incarne le rôle principal, en écho au Malotru interprété par Mathieu Kassovitz. Dès sa sortie, The Agency réalise un démarrage spectaculaire : 5,1 millions de spectateurs sur les plateformes de Showtime à l’international, et près d’un demi-million en France pour le premier épisode.

Si Le Bureau des légendes avait ouvert une brèche, The Agency s’y engouffre avec les armes de l’industrie hollywoodienne : casting prestigieux, budget renforcé, tournage sur trois continents, et décors soignés au sein des Leavesden Studios, fief de productions majeures. L’envergure est autre. Mais le projet n’est pas un simple lifting transatlantique. Il opère des déplacements, parfois subtils, parfois structurants.

2. Récit miroir, zones de divergence

La mécanique narrative de The Agency reste fidèle à celle du Bureau des légendes. Martien, pseudonyme opérationnel de l’espion américain, est l’exact équivalent de Malotru. Sa légende s’appelle Paul Lewis (contre Paul Lefevre dans la version originale), et il revient d’une longue mission d’infiltration en Éthiopie. Comme Malotru, il rentre à contretemps, porteur d’une histoire personnelle non résolue : l’amour clandestin qu’il a entretenu avec Samia Zahir, historienne soudanaise. Le dispositif est le même : à travers cet attachement, c’est tout l’édifice du renseignement qui vacille.

Les épisodes reproduisent souvent les structures du Bureau, au point que les épisodes 8 des deux séries semblent dialoguer scène par scène. Mais les transpositions ne sont jamais mécaniques. Les rôles secondaires sont adaptés, les lieux changés, les missions recontextualisées. Coyote remplace Cyclone, mais il opère en Biélorussie plutôt qu’en Algérie. Samia Zahir prend la place de Nadia El Mansour, avec un accent mis sur la guerre civile au Soudan. Martien rejoint la CIA à Londres plutôt que la DGSE à Paris. Les similitudes formelles laissent ainsi place à des écarts significatifs.

3. La géopolitique mise à jour

Ce qui distingue véritablement The Agency de son modèle, c’est son ancrage géopolitique. Tandis que Le Bureau des légendes déployait son intrigue dans un contexte post-11 septembre, entre Syrie, Sahel et lutte contre le terrorisme, The Agency fait du conflit ukrainien son pivot dramatique. L’ancien théâtre du Moyen-Orient cède la place à l’Europe de l’Est, aux tensions entre OTAN et Russie, et aux mécanismes d’influence chinois sur la diplomatie internationale.

La série américaine reflète l’évolution des préoccupations stratégiques occidentales : la guerre froide est de retour, et les négociations de paix ne se déroulent plus à Genève mais à Londres, sous l’égide de la Chine. Ce repositionnement, appuyé par une relecture des alliances et des rivalités, donne à The Agency une densité contemporaine, au prix peut-être d’une forme de complexité plus opaque.

4. Le sentiment amoureux au cœur de l’intrigue

L’autre point de bascule se trouve dans le traitement de la romance. Là où Malotru, tout en étant vulnérable, gardait une forme de retenue et de sang-froid, Martien apparaît brisé dès le premier épisode par l’annonce d’un attentat sur le lieu de travail de Samia. La douleur affleure en surface, le désespoir s’expose. Michael Fassbender compose un personnage instable, agité par ses émotions, littéralement rongé par le secret.

Le synopsis de la version américaine place d’ailleurs d’emblée l’histoire d’amour au centre de la mécanique narrative. Love is Blindness, chanson d’ouverture du groupe U2, annonce ce glissement vers une lecture plus romanesque. Si Le Bureau des légendes installait la passion dans les marges feutrées du devoir, The Agency la place au centre du conflit.

5. Réalisme et divergentes

À la réalisation, Joe Wright (Orgueil et Préjugés, Reviens-moi) impose une direction artistique assumée : teintes désaturées, intérieurs feutrés, compositions élégantes. On est loin du réalisme quasi documentaire d’Éric Rochant, qui revendiquait un style plus brut, plus près du terrain. La photo de The Agency est plus sombre, l’atmosphère plus stylisée. Martien, souvent filmé dans l’ombre, semble porter le poids d’un monde disloqué.

Même contraste dans l’architecture narrative : là où Le Bureau des légendes étirait le temps, cultivait les silences, The Agency accélère le rythme, densifie les dialogues, et privilégie les retournements immédiats. Le plaisir du détail méthodique cède la place à la tension dramatique, parfois plus frontale.

6. Réception critique

Le public a largement suivi. Les critiques, elles, se montrent plus nuancées. La série obtient un score de 62/100 sur Metacritic. En France, Télérama salue une adaptation « maîtrisée », tandis que Les Inrockuptibles vantent « l’élégance fatiguée » de Fassbender. Le Parisien regrette néanmoins un scénario parfois trop dispersé.

La série a été renouvelée pour une saison 2 dès la fin 2024, preuve de la confiance des producteurs. Le tournage est en cours à Londres. En parallèle, le créateur du Bureau des légendes, Éric Rochant, planche sur Secret People, une nouvelle série d’espionnage attendue en 2027, centrée sur les tensions diplomatiques autour de la Chine.


Réagissez à cet article