Ana Maria Bonduelle (For Talents) est spécialiste de la transmission d’entreprises familiales. Avec La Fresque de la Transmission, un outil qu’elle a développé, elle accompagne les familles dans ce moment délicat en plaçant les relations humaines au cœur du processus. L’objectif : faciliter le dialogue, lever les tabous, et identifier des leviers d’action pour réussir une transmission à la fois sereine et structurée.
Pourquoi la transmission des entreprises familiales reste-t-elle un sujet aussi peu anticipé ?
Ana Maria Bonduelle : Parce qu’on ne mesure pas toujours ce qu’elle implique. Il y a une vraie méconnaissance du sujet : on pense succession ou fiscalité, là où il s’agit d’un cheminement long, complexe, qui touche à la fois à l’intime, à l’émotionnel, au stratégique, au juridique et au collectif. Ce n’est pas un sujet de l’opérationnel quotidien – il n’est jamais « urgent » ou « prioritaire »… jusqu’à ce qu’il le devienne. Il implique des inconnues, des personnes multiples, des décisions à construire dans le temps. C’est justement parce qu’il est complexe qu’on préfère souvent le repousser. Et donc il reste tabou dans beaucoup de familles créant des non-dits et parfois des conflits.
Quels sont les principaux risques d’une transmission mal préparée ?
Ana Maria Bonduelle : Les risques sont multiples : discontinuité de la gouvernance, tensions familiales, pertes économiques ou patrimoniales, impacts sur l’entreprise voire sa disparition. Une transmission mal préparée peut fragiliser l’unité familiale et nuire au développement ou à la pérennité de l’entreprise. Elle peut aussi décourager les repreneurs, qui ne se sentent ni écoutés ni légitimes. À l’inverse, une transmission anticipée, structurée et accompagnée permet de sécuriser toutes les dimensions – juridique, fiscale, émotionnelle, stratégique – et de renforcer la confiance entre les générations et permettre au transmetteur de transmettre complètement le flambeau.
Quelles erreurs reviennent le plus souvent chez les dirigeants ?
Ana Maria Bonduelle : L’erreur la plus fréquente est de croire qu’il est “trop tôt” pour s’y mettre. Or, plus on attend, moins on a le temps de cheminer et plus les blocages se cristallisent. D’autres erreurs classiques sont : vouloir tout maîtriser seul, ne pas verbaliser ses intentions et faire des suppositions sur les intentions ou souhaits des autres, préparer la transmission uniquement sur le plan juridique et fiscal, sans dialogue avec les autres parties prenantes. Il y a aussi une méconnaissance du rôle que pourrait jouer la famille en tant que collectif, au-delà des seules figures du transmetteur et du repreneur.
Quels freins psychologiques ou familiaux observez-vous le plus souvent ?
Ana Maria Bonduelle : Nous observons un fort attachement à l’entreprise comme “œuvre de vie”, rendant difficile le lâcher-prise. Le sentiment de devoir choisir un successeur familial peut réveiller des conflits de loyauté, des comparaisons entre enfants ou des craintes de division. Il y a aussi le poids du regard familial : certains receveurs se sentent contraints, d’autres illégitimes. Enfin, le manque de communication alimente souvent des malentendus ou des non-dits, qui deviennent des sources de tension à long terme.
Qu’apporte votre approche par rapport aux outils juridiques ou fiscaux traditionnels ?
Ana Maria Bonduelle : La Fresque de la Transmission dans les entreprises familiales n’est pas une alternative aux outils juridiques ou fiscaux, mais un complément. Elle agit en créant un espace de discussion sincère sur les intentions, les rôles, les désirs et les peurs. L’atelier permet de poser des bases de confiance sur lesquelles les experts pourront ensuite intervenir efficacement. Il humanise le processus, en donnant de la place au dialogue (et à l’émotion), à l’histoire familiale et à la vision d’un futur, pour le bien de l’entreprise.
Quels secteurs ou types d’entreprises rencontrent les plus grands défis de transmission ?
Ana Maria Bonduelle : La transmission est un défi pour toutes les entreprises familiales, indépendamment de leur taille ou de leur secteur. Ce qui fait la différence, ce ne sont pas tant les métiers ou les marchés, mais la maturité du dialogue familial, la clarté des intentions, et le niveau de préparation.
En complément, plus la structure est concentrée autour du fondateur, plus les tensions peuvent être fortes au moment du passage de relais. De même, dans les secteurs à forte évolution (technologique, réglementaire ou environnementale), la transmission est souvent l’occasion de repenser le modèle, ce qui peut être source d’inquiétude pour les générations sortantes comme entrantes.
Que manque-t-il à l’écosystème pour mieux accompagner ces transmissions ?
Ana Maria Bonduelle : Il manque d’abord un changement de regard : accepter que la transmission ne puisse pas se réduire à un acte juridique ou fiscal ponctuel. C’est un processus profondément humain, qui touche au sens, à la reconnaissance, au lien, à l’histoire d’une famille et à son avenir en lien avec une entreprise, qui elle-même a ses cycles, ses parties prenantes, ses enjeux.
Ce qui fait défaut aujourd’hui, ce sont des espaces de dialogue neutres, ouverts et sans pression, où les familles puissent poser leurs questions, exprimer leurs peurs ou désaccords, et avancer ensemble — même lorsqu’aucune décision n’est encore prise. Il vaut aussi mieux articuler les expertises : juridiques, fiscales, émotionnelles, entrepreneuriales, qui interviennent souvent de façon trop cloisonnée.
Enfin, nous avons besoin d’une plus large sensibilisation. Beaucoup de dirigeants ne se sentent pas « prêts » à transmettre, simplement parce qu’ils ne savent pas par où commencer. En rendant les enjeux plus accessibles, en dédramatisant, on leur donne des clés pour se mettre en mouvement au bon moment.
C’est exactement ce que propose la Fresque de la Transmission dans les entreprises familiales : un cadre bienveillant pour amorcer la réflexion, créer de la clarté, et enclencher les premières actions.
