Jensen Huang (Nvidia), rockstar de l’IA

Cuir noir, posture assurée, ton calme mais tranchant. Lorsque Jensen Huang, PDG fondateur de Nvidia, monte sur scène, le public se lève comme à un concert. Accueilli comme une rockstar lors du salon VivaTech 2025 à Paris, l’homme qui a transformé un fabricant de cartes graphiques en empire technologique mondial incarne aujourd’hui bien plus qu’une réussite industrielle : il est devenu une figure tutélaire de l’intelligence artificielle.

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De Taïwan aux États-Unis, de la console de jeu à la géopolitique numérique, Jensen Huang incarne l’ère de l’IA comme peu d’autres. En juin 2025, Nvidia oscille entre la deuxième et troisième capitalisation boursière mondiale avec 3 030 milliards d’euros, ayant temporairement retrouvé la première place mondiale avec 3 444 milliards de dollars quelques jours plus tôt. Mark Zuckerberg le surnomme « la Taylor Swift de la tech », tandis que des foules scandent son nom à Taipei dans des moments d’ »hystérie Jensanity ».

Du Kentucky à la Silicon Valley

Né à Tainan, Taïwan, le 17 février 1963, Jensen Huang connaît très tôt l’expérience de l’exil et de l’adaptation. À cinq ans, sa famille quitte Taïwan pour la Thaïlande, avant de migrer aux États-Unis en 1973. Il n’a que neuf ans lorsqu’il est placé, avec son frère, dans un dortoir du Oneida Baptist Institute, une école modeste du Kentucky qui s’est révélée être un établissement pour « jeunes en difficulté ». Il y découvre le ping-pong, qu’il pratique avec une intensité qu’il lie aujourd’hui à sa « pugnacité ».

Cette ténacité le mène jusqu’à l’université d’État de l’Oregon, où il rencontre Lori Mills, future épouse et partenaire de laboratoire. Il poursuit ses études à Stanford, temple de l’ingénierie, avant de débuter chez LSI Logic puis AMD. À 30 ans, contre l’avis d’une mère qui lui conseillait de « trouver un vrai travail », il cofonde Nvidia avec deux collègues.

Nvidia, de la 3D au cerveau des machines

Nvidia naît en 1993 avec une intuition : l’essor des graphismes 3D dans le jeu vidéo. Ses puces séduisent les fabricants d’ordinateurs et de consoles. L’entreprise collabore avec Sony sur la PlayStation 3, puis avec Nintendo pour la Switch 2, console hybride dotée d’un GPU Nvidia T239 basé sur l’architecture Ampere et offrant « dix fois les performances graphiques » de la première Switch. Elle entre en Bourse en 1999.

Mais c’est dans la deuxième moitié des années 2010 que Jensen Huang prend le tournant décisif. Misant sur l’essor de l’intelligence artificielle, Nvidia redéfinit sa mission : fournir le matériel de calcul le plus puissant aux développeurs d’IA. Ses processeurs GPU deviennent l’infrastructure invisible de l’apprentissage automatique. À mesure que les grands modèles de langage se généralisent, Nvidia s’impose comme un acteur central et incontournable.

Des chiffres fous

Les performances récentes de Nvidia illustrent cette transformation. Pour l’exercice fiscal 2025, l’entreprise a généré 130,5 milliards de dollars de revenus, soit une hausse spectaculaire de 114 %. Le premier trimestre fiscal 2026 a rapporté 44,1 milliards de dollars, en hausse de 69 % sur un an, avec les centres de données représentant désormais 89 % des revenus totaux.

Cependant, l’empire technologique doit faire face à ses zones d’ombre. En janvier 2025, l’annonce du modèle d’IA chinois DeepSeek a provoqué une chute historique de 17 % du titre Nvidia, effaçant près de 590 milliards de dollars de capitalisation en une seule journée. Cette start-up chinoise avait démontré qu’il était possible de concevoir une IA générative très performante avec seulement 2 000 puces Nvidia et un budget de 5,6 millions de dollars, remettant en question les investissements massifs du secteur.

Les restrictions commerciales américaines ajoutent à la pression. En avril 2025, le gouvernement américain a imposé de nouvelles restrictions sur les exportations de puces H20 vers la Chine, forçant Nvidia à déprécier 4,5 milliards de dollars d’inventaire. La part de marché de Nvidia en Chine est tombée de 95 % à 50 % depuis les premières restrictions. Jensen Huang qualifie ces contrôles à l’exportation d’ »échec ».

L’Europe comme terrain de souveraineté numérique

Lors de VivaTech 2025, face à Emmanuel Macron et Arthur Mensch (PDG de Mistral AI), Jensen Huang est direct : « Vous ne pouvez pas délocaliser votre intelligence. » Il appelle l’Europe à bâtir sa propre IA, avec ses propres infrastructures, ses propres données. Pour soutenir ce discours, un partenariat stratégique « historique » est scellé avec Mistral AI le 11 juin 2025 : le projet Mistral Compute, alimenté par 18 000 puces Grace Blackwell (GB200), la dernière génération de Nvidia.

Cette collaboration s’inscrit dans une dynamique plus large. En mai 2025, un campus européen de l’IA avait été annoncé en Île-de-France : un investissement colossal de 30 à 50 milliards d’euros avec une capacité de 1,4 GW d’ici 2030. La joint-venture associe le fonds émirati MGX, Bpifrance, Mistral AI et Nvidia, avec une première phase de 8,5 milliards d’euros visant une livraison en 2028.

Nvidia multiplie les alliances sur le Vieux Continent : les partenaires de Mistral Compute incluent déjà Black Forest Labs, BNP Paribas, Mirakl, Orange, SNCF, Thales et Veolia. Même les pépites du quantique français, comme Pasqal ou Alice & Bob, collaborent avec la plateforme CUDA-Q de Nvidia. Pour Jensen Huang, « le monde est à un point d’inflexion », et il n’a pas l’intention de le manquer.

Un profil rare

L’homme au blouson noir ne se limite pas à ses chiffres boursiers. Sa fortune est estimée entre 105 et 117 milliards de dollars, le plaçant autour de la 11ᵉ position mondiale selon Forbes, non la 9ᵉ comme souvent mentionné. Il détient 3,6 % de Nvidia.

Jensen Huang a reçu sa première augmentation de salaire en dix ans en 2025, portant sa rémunération de base à 1,5 million de dollars et sa rémunération totale à 49,9 millions de dollars. Cette augmentation de 50 % intervient alors qu’il gagne 166 fois plus que l’employé moyen de Nvidia.

Jensen Huang a reçu les plus hautes distinctions du monde de l’ingénierie : IEEE Founders Medal, Robert N. Noyce Award, membre de la National Academy of Engineering. Il est docteur honoris causa de l’université nationale de Taïwan et de celle de l’Oregon. En 2023, The Economist le désigne « PDG de l’année ». En 2024, Fortune le classe deuxième personne la plus influente dans le monde des affaires.

Il figure dans les listes TIME 100 AI de 2023 et 2024, une reconnaissance de son influence dans le développement de l’intelligence artificielle. Un profil rare, à la croisée de la science, du marché et de la politique.

L’architecture mentale d’un nouveau monde

Jensen Huang a réussi ce que peu d’entrepreneurs peuvent prétendre : transformer un marché de niche en socle d’une révolution globale. Sous sa houlette, Nvidia est devenu le cœur battant de l’intelligence artificielle, un « maillon indispensable » de toute la chaîne de valeur, des startups aux États.

C’est une vision du monde que Huang propose : une architecture cognitive mondiale, un réseau d’infrastructures, une souveraineté technologique distribuée. Pour l’Europe, il incarne à la fois l’opportunité d’un rattrapage stratégique et le miroir de ses propres hésitations, particulièrement face aux défis géopolitiques et à la concurrence chinoise qui déstabilise parfois les marchés.


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