TikTok interdit avant 15 ans ? Ce que Macron ne dit pas

Macron face à TikTok : un coup politique qui évite les réformes profondes.

Il fallait frapper fort. Après le meurtre glaçant d’une surveillante de collège à Nogent-sur-Marne par un élève de 14 ans, dans un climat saturé de vidéos violentes diffusées sur TikTok, Emmanuel Macron a sorti l’arme lourde : l’interdiction des réseaux sociaux pour les moins de 15 ans. En direct sur France 2, dans un moment de gravité assumée, le chef de l’État a affirmé : « On ne peut pas attendre ». Il a raison. Mais encore faudrait-il agir au bon endroit, avec les bons outils.

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Cette sortie présidentielle, choc autant que symbolique, illustre parfaitement une méthode désormais familière : transformer l’émotion collective en promesse d’action radicale. Face à un problème systémique – la dépendance des jeunes aux plateformes et l’absence de garde-fous numériques – l’exécutif produit une réponse simple, visible, immédiate. Trop simple. Trop visible. Trop immédiate.

Une interdiction déjà inscrite dans la loi… et largement contournée

Car enfin, interdire les réseaux sociaux avant 15 ans ? La mesure existe déjà dans la loi française. Depuis 2018, l’âge de la majorité numérique est fixé à 15 ans, renforcé en 2023 par l’obligation d’une autorisation parentale. Le RGPD, pourtant tant vanté à Bruxelles, prévoit que les moins de 15 ans ne peuvent consentir seuls au traitement de leurs données personnelles. Et pourtant, un million d’enfants de moins de 13 ans sont aujourd’hui actifs sur TikTok. La première inscription intervient en moyenne à… huit ans et demi.

On ne légifère pas contre un mirage. Et ce n’est pas en répétant une norme déjà contournée qu’on bâtira un rempart. Ce que propose le président, ce n’est pas une réforme : c’est un signal politique, un coup de menton numérique, une posture nationale dans un espace qui n’a plus de frontières.

L’Europe hésite, les plateformes profitent de l’inaction

Le président le sait : la France seule ne peut rien. L’enjeu est européen, transnational, algorithmique. Alors il fixe un ultimatum à Bruxelles : « Quelques mois » pour construire une majorité numérique continentale, sinon Paris légifèrera en solo. Ce chantage diplomatique, habile sur le plan stratégique, dissimule mal une réalité dérangeante : la France n’a ni la souveraineté technologique, ni la capacité réglementaire d’imposer aux géants du numérique des règles efficaces sans s’allier à l’Union. Et cette Union, fidèle à sa tradition procédurale, n’a pour l’heure édicté que des obligations vagues : vérification de l’âge, outils de contrôle parental, interdiction de la publicité ciblée… mais aucun verrou sérieux.

Le vrai problème : un modèle économique qui cible les jeunes

Là où il faudrait une offensive coordonnée sur la structure même des plateformes, le pouvoir français se contente de déplacer la ligne rouge. Ce n’est pas l’âge qui pose problème, c’est l’absence de vérification robuste, l’impunité des algorithmes, le modèle économique fondé sur l’exploitation de l’attention adolescente. Ce n’est pas un seuil qu’il faut, c’est un système de contrôle indépendant, public, transparent, qui contraint Meta, ByteDance ou Snap à sortir de leur zone grise juridique. Et pour cela, il faut autre chose qu’un effet d’annonce.

Le recours aux technologies de reconnaissance faciale ou à des outils de vérification d’identité, évoqués par l’Élysée, pourrait apporter un début de solution – à condition de ne pas sacrifier les droits fondamentaux au nom d’une sécurité illusoire. Mais ces infrastructures n’existent pas encore, et leur généralisation soulève des objections sérieuses en matière de vie privée. Les adolescents, déjà surexposés, deviendraient les cobayes d’un contrôle numérique étatique, sans garantie d’efficacité. On n’éduque pas à la citoyenneté numérique par la surveillance.

Familles et influenceurs : les responsabilités diluées

Dans cet écosystème flou, les plateformes esquivent, les influenceurs se défaussent, et les parents se débattent. Emmanuel Macron a eu beau rappeler que « l’autorité parentale est le premier pare-feu numérique », il renvoie au domicile ce que l’État et l’industrie refusent d’assumer : la responsabilité du chaos algorithmique. Car oui, les familles ont un rôle. Mais elles n’ont ni les moyens ni les codes pour affronter les logiques addictives de TikTok ou de Snapchat. On ne combat pas une hydre avec une télécommande.

Une bataille symbolique qui détourne du vrai combat

La vérité, c’est que le président livre une guerre symbolique là où il faudrait une révolution institutionnelle. Il désigne un ennemi – les réseaux – mais n’attaque pas les véritables bastions de leur pouvoir : l’absence de régulation contraignante, la complicité tacite des États, l’architecture opaque du capitalisme attentionnel.

S’attaquer aux réseaux sociaux n’est pas une erreur. Mais croire que l’on peut les dompter par décret, dans l’urgence médiatique, est une illusion. Ce n’est pas à un âge qu’il faut interdire l’accès, mais à un modèle qu’il faut opposer une limite. Et cela exige une vision, des alliances, du courage politique – pas des injonctions qui ne tiennent qu’une annonce.

En 2025, interdire TikTok à un collégien reste, hélas, une promesse creuse.


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