La notion de pouvoir d’achat ne peut plus se limiter à l’évolution des salaires ou des prix à la consommation. En 2025, une part croissante du revenu des ménages est absorbée par des charges qu’ils ne peuvent ni différer ni annuler.
Ce montant correspond aux dépenses contraintes, c’est-à-dire les charges fixes et obligatoires. Leur poids dans le budget des foyers ne cesse de croître, au point de devenir, en 2025, le principal facteur d’érosion du pouvoir d’achat réel.
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Le poids croissant des charges incompressibles
En 2025, les dépenses contraintes représentent 35 % du revenu net mensuel des Français, selon les données les plus récentes de l’Insee. Pour les 20 % de ménages les plus modestes, cette part atteint 80 %. Dans les faits, ces dépenses ne laissent que peu de marge de manœuvre aux foyers pour arbitrer, épargner ou consommer librement.
Le terme recouvre une dizaine de postes : loyer ou remboursement de crédit immobilier, énergie, assurances, abonnements, impôts, frais bancaires ou encore crédits à la consommation. À ces postes s’ajoutent souvent des engagements contractuels difficilement résiliables, qui s’ajustent peu aux aléas économiques.
Une tendance qui s’accélère
Ce phénomène ne date pas d’hier. En 1960, les dépenses contraintes représentaient 13 % du revenu disponible. En 2022, elles atteignaient 28 %. Leur progression s’inscrit dans une évolution structurelle, portée par l’augmentation des coûts du logement, de l’énergie, des services bancaires et assurantiels.
Le logement concentre une part majeure de cette dynamique. Sa charge budgétaire est passée de 9 % du revenu dans les années 1960 à plus de 23 % dans les années 2010. À cela s’ajoutent les hausses de l’électricité, de l’eau ou des frais de copropriété, qui alourdissent mécaniquement les charges fixes des ménages.
Un budget toujours sous tension
L’année 2025 est marquée par un ralentissement de l’inflation : +0,7 % en mai sur un an. Le pouvoir d’achat, en apparence, progresse de 2,6 % en 2024. Mais cette amélioration statistique reste théorique pour de nombreux foyers.
Certains postes de dépenses contraintes continuent de progresser bien au-delà de l’indice des prix :
- Les frais bancaires augmentent de 1,7 %, avec des hausses marquées sur les frais de tenue de compte (+7 %) et les cartes bancaires (+3,2 %).
- Les primes d’assurance habitation augmentent de 12 à 20 %, en lien avec la hausse du coût des réparations et des matières premières.
- Les coûts de l’électricité restent élevés, après une hausse de 23 % en février 2024, malgré les aides publiques.
Ces hausses ciblées annulent en grande partie les gains de pouvoir d’achat enregistrés dans d’autres secteurs. Elles réduisent la capacité des ménages à profiter de la désinflation ou à dégager une épargne.
Des disparités marquées selon les territoires et les profils
Les dépenses contraintes varient fortement d’une région à l’autre. En Bretagne, elles s’élèvent à 949 € par mois. En Auvergne-Rhône-Alpes, elles atteignent 1 278 €, soit un écart de 329 €. Ces différences s’expliquent principalement par le coût du logement, le prix de l’énergie et les niveaux de revenus.
La région Île-de-France affiche un montant élevé (1 243 €), mais cela ne représente que 31 % du revenu net moyen grâce à des salaires plus élevés. En Normandie, les charges fixes plus modestes en valeur absolue (1 030 €) représentent 41 % du revenu. Le poids réel des dépenses contraintes s’apprécie donc toujours en proportion du revenu local.
L’analyse par tranche d’âge confirme également l’inégalité de l’impact. Les 35-49 ans sont les plus exposés : 1 472 € de dépenses contraintes par mois, soit 46 % de leur revenu. Cette tranche d’âge concentre souvent les remboursements immobiliers, les charges de famille, plusieurs assurances et de nombreux abonnements.
Les 18-24 ans, pour leur part, limitent ces dépenses à 1 050 €, en partie parce que 42 % vivent encore chez leurs parents. Les retraités, avec 898 € de charges fixes mensuelles, semblent moins affectés en moyenne, mais nombre d’entre eux doivent réduire leurs dépenses énergétiques : 74 % déclarent avoir restreint leur chauffage.
Une logique budgétaire devenue systémique
Les charges fixes ne sont plus seulement liées aux nécessités vitales. Elles s’étendent aux domaines du loisir, de la culture ou de la mobilité. La généralisation des abonnements (téléphonie, streaming, salles de sport) ajoute chaque mois des charges contractuelles peu visibles mais bien réelles. Selon CSA Research, 64 % des foyers souscrivent à ce type de services pour un coût moyen de 63 € par mois, et 71 % gardent des abonnements qu’ils n’utilisent pas.
Le recours au crédit à la consommation, lui aussi en progression, atteint 171 € par mois en moyenne, soit une hausse de 5 % sur un an. Cette dynamique traduit une forme de dépendance financière et de recours à l’endettement pour couvrir des dépenses courantes.
À cela s’ajoute un transfert progressif de charges vers les ménages. La loi de finances 2025 prévoit une hausse des prélèvements obligatoires et une réduction de certaines protections sociales :
- 0,9 milliard d’euros en moins pour le remboursement des soins,
- réduction de l’indemnisation chômage,
- hausse progressive des tarifs énergétiques, malgré les dispositifs d’aide (bouclier tarifaire, amortisseur).
Les ménages doivent assumer une part croissante de coûts autrefois partiellement socialisés.
Reprendre la main avec des outils numériques
Une partie des consommateurs cherche à reprendre le contrôle sur leurs charges. Les comparateurs d’assurance permettent, selon Les Furets, de réaliser jusqu’à 217 € d’économies par an. Les applications de gestion budgétaire (Bankin’, Linxo) contribuent à identifier et résilier les abonnements inutiles ou à négocier certains contrats. 40 % des utilisateurs disent avoir réduit leurs charges fixes grâce à ces outils.
Mais ces pratiques restent encore marginales. L’enjeu dépasse la seule optimisation individuelle.
De plus en plus d’experts plaident pour la création d’un indice officiel des dépenses contraintes, qui permettrait de mieux cerner le pouvoir d’achat réel des ménages. Aujourd’hui, les indicateurs économiques prennent peu en compte cette dimension.