Éducation nationale : vers la fin des concours enseignants

Face à la crise des vocations et à la chute des candidats, l'Éducation nationale va-t-elle tourner la page des concours enseignants ?

En chute libre, les concours de recrutement de professeurs sont aujourd’hui remis en question. Réforme du niveau d’entrée, baisse des exigences, recours massif aux contractuels : tout indique une remise en cause profonde de ce système pilier de l’Éducation nationale.

Jamais le modèle républicain du recrutement par concours n’a semblé aussi fragilisé. En 2025, la crise atteint un nouveau pic : les résultats d’admissibilité au CAPES mettent en lumière des manques criants, notamment en lettres modernes, mathématiques, physique-chimie et éducation musicale. Une tendance structurelle, aggravée par la chute vertigineuse du nombre de candidats depuis plusieurs années.

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Pour le concours de professeur des écoles (CRPE), l’effondrement est spectaculaire : de 250 000 inscrits en 2017, il ne reste plus que 75 000 candidats. Dans le secondaire, la baisse est également marquée : 3 000 inscrits de moins en un an, et une perte de 1 600 candidats pour l’agrégation. Entre 2017 et 2023, les inscriptions au CAPES ont chuté de 41 %, avec des effondrements plus nets dans les disciplines scientifiques ou les langues.

Plus alarmant encore, l’écart se creuse entre inscrits et présents : en 2022, seuls 14 000 des 41 000 candidats inscrits au CRPE se sont effectivement présentés aux épreuves. Un taux d’absentéisme de 66 %, reflet d’une défiance croissante envers le système des affectations nationales. La désaffection va de pair avec une chute du niveau d’exigence : en 2023, dans l’académie de Créteil, une note de 4/20 suffisait pour figurer parmi les lauréats.

Une réforme radicale et controversée

Face à cette crise, le gouvernement a engagé une réforme d’ampleur. Annoncée par Emmanuel Macron, puis officialisée par décret le 19 avril 2025, la réforme abaisse le niveau de recrutement des enseignants à bac+3, contre bac+5 aujourd’hui. Dès 2026, les futurs professeurs du premier et du second degré pourront se présenter au concours à la fin de leur licence.

Une période transitoire prévoit la coexistence des deux systèmes jusqu’en 2027, avant l’abandon définitif du concours de fin de master en 2028. Ce tournant vise à élargir le vivier de candidats, notamment en anticipant l’orientation vers l’enseignement dès la licence. Une logique déjà à l’œuvre dans l’enseignement agricole, où le ministère de l’Agriculture recrute certains enseignants au niveau bac+3 depuis 2023, et prévoit d’étendre cette mesure à l’ensemble des disciplines générales à partir de 2027.

Mais cette réforme suscite une vive opposition. La FSU, majoritaire, réclame son retrait pur et simple. Des associations disciplinaires, sociétés savantes, sections du Conseil national des universités, France Université, le Réseau des INSPÉ, les vice-présidences CFVU ainsi que la quasi-totalité des syndicats dénoncent une réforme précipitée, mal concertée, et potentiellement déstabilisante.

« On recrute désormais à bac+3, mais sans revalorisation ni accompagnement renforcé, déplore Cyril B., professeur de mathématiques en collège REP dans l’Academie de Versailles. Résultat : on envoie des jeunes devant les classes avec une formation minimale et des conditions de travail décourageantes. Ce n’est pas une réponse à la crise, c’est une fuite en avant. »

Concours allégés, exigences allégées ?

L’analyse des premiers « sujets 0 » du nouveau concours n’a pas rassuré. En mathématiques ou en histoire-géographie, les candidats se voient proposer de simples classements de nombres ou d’événements historiques, voire des QCM. Des exercices jugés trop élémentaires, qui suscitent l’inquiétude des formateurs quant à la formation intellectuelle exigée.

Ce glissement vers des formats plus accessibles est perçu comme le symptôme d’une logique de massification, où la priorité donnée au volume compromet la rigueur attendue. La simplification des épreuves, en privilégiant les tâches mécaniques à la réflexion, interroge sur la capacité du concours à sélectionner des profils solides, aptes à affronter la complexité du métier.

L’essor massif des contractuels

En parallèle, un autre modèle s’impose silencieusement : celui du recours croissant aux enseignants contractuels. En 2022-2023, ils représentaient près de 10 % des enseignants du second degré public et 2 % du premier degré. Dans le primaire, leur nombre a bondi de 80 % entre 2015 et 2021. Dans le secondaire, leur part a doublé depuis 2008, dépassant aujourd’hui les 10 %.

Chaque année, plus de 60 000 non-titulaires sont recrutés pour combler les postes vacants ou assurer les remplacements. À Créteil, l’une des académies les plus touchées, la part des contractuels bat des records. Le phénomène, d’abord conjoncturel, devient structurel.

Le recrutement s’effectue souvent par un simple entretien individuel avec un inspecteur d’académie, dans le cadre de « job datings » critiqués pour leur opacité et leur manque d’exigence. Il suffit d’un bac+3 pour enseigner dans les collèges ou lycées généraux, et parfois d’un bac+2 pour les lycées professionnels.

Une rupture nette avec les exigences des concours traditionnels, que ressentent directement les enseignants concernés. « J’ai été recruté en une journée, sans qu’on me demande la moindre expérience en pédagogie, raconte Julien T., contractuel en lettres modernes dans un collège du Vaucluse. Je suis content d’avoir un poste, mais je vois bien que je ne suis pas préparé. Ce système ne peut pas tenir à long terme. »

Le statut reste précaire : CDD à durée variable, parfois à temps partiel, renouvelés chaque année. Certaines académies privilégient même les vœux des contractuels sur ceux des titulaires pour tenter de les fidéliser, générant des tensions dans les affectations.

Modèles étrangers : inspiration ou illusion ?

Ailleurs, d’autres pays ont déjà rompu avec l’uniformité des concours nationaux. En Finlande, tous les enseignants doivent être titulaires d’un master disciplinaire ou de pédagogie, mais le recrutement est décentralisé : chaque établissement sélectionne directement ses enseignants. Les règles garantissent la transparence : justification des choix, publication des salaires, possibilité de recours.

Ce modèle combine exigence académique et souplesse locale. Il s’appuie aussi sur une très forte syndicalisation — plus de 95 % des enseignants sont syndiqués — et sur une stabilité contractuelle : la majorité est recrutée en CDI dès l’embauche.

Au Royaume-Uni, la flexibilité prime. Si un Qualified Teacher Status est requis pour enseigner dans le public, d’autres voies d’accès existent, notamment dans le privé ou l’enseignement supérieur, avec des niveaux d’exigence variables. Le système anglo-saxon privilégie l’adaptabilité, quitte à sacrifier l’homogénéité de la formation.

Au cœur du débat : l’attractivité du métier

Derrière la crise des concours, c’est celle de l’attractivité du métier qui se profile. Depuis 2017, une politique marquée par la baisse des conditions de travail, la rigidité des relations sociales et le déclassement salarial a fragilisé le statut d’enseignant. La formation, initiale comme continue, est jugée dégradée.

L’OCDE rappelle que l’attractivité d’une carrière repose sur plusieurs facteurs : salaires, perspectives d’évolution, reconnaissance sociale. En France, le paradoxe est flagrant : cinq années d’études sont exigées pour un métier peu valorisé. Les masters MEEF se vident. En lettres classiques ou en mathématiques, les viviers sont exsangues.

Symbole d’un malaise profond : 72 % des enseignants disent aimer leur métier, mais seuls 15 % le recommanderaient à un proche. Un désenchantement massif.

Du côté du ministère, on reconnaît la gravité de la situation. « L’enjeu aujourd’hui, c’est d’éviter l’effondrement, confie un conseiller au cabinet du ministre de l’Éducation nationale. Le concours tel qu’il existe ne remplit plus sa mission. Il faut reconstruire un modèle plus ouvert, plus attractif, sans renoncer à l’exigence. »


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