Concrètement, un allocataire qui ne respecterait pas les engagements fixés par son contrat d’engagement réciproque — absence à un rendez-vous, refus d’une offre raisonnable, manque d’implication — risque désormais une suspension de 30 % à 100 % de son allocation chômage, dès la première infraction. Cette suspension peut s’étendre de un à quatre mois, en fonction de la gravité du manquement ou de sa répétition. La radiation, auparavant sanction principale, devient désormais secondaire, cantonnée aux cas des non-allocataires.
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Un durcissement qui s’inscrit dans une logique assumée
Ce décret s’inscrit dans une dynamique plus large engagée depuis plusieurs mois : celle d’une conditionnalité accrue des droits sociaux. Le premier volet de la loi pour le plein emploi, voté en 2023, avait déjà rendu obligatoire l’inscription comme demandeur d’emploi pour toucher le RSA. Il avait également instauré 15 heures d’activité hebdomadaire pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active.
Avec ce nouveau texte, le gouvernement poursuit sa ligne : exiger plus en échange d’un soutien financier, en assumant un basculement vers une gestion plus autoritaire des politiques d’emploi. « Il s’agit de rétablir un équilibre entre droits et devoirs », affirme le ministère du Travail. Mais l’équilibre semble désormais pencher nettement en faveur des obligations, au détriment d’un accompagnement véritable.
France Travail, bras armé d’un contrôle renforcé
Au cœur de cette réforme, France Travail voit ses prérogatives renforcées. Les conseillers disposent désormais d’un pouvoir élargi pour décider du montant et de la durée des sanctions, dans les limites fixées par le décret. Mais les critères d’appréciation demeurent flous. Aucune grille précise n’encadre la gradation des sanctions en fonction du type de manquement.
Cette latitude d’interprétation ouvre la voie à une discrétion accrue des agents, qui se retrouvent investis d’une fonction quasi-pénale sans disposer des garanties du droit. Dans les faits, une même infraction pourrait entraîner des mesures différentes selon les territoires, les agences ou les conseillers. Un glissement problématique au regard du principe d’égalité devant la loi.
Vers une pénalisation de la précarité ?
Les inquiétudes sont nombreuses. Pour les syndicats comme pour les associations de lutte contre la pauvreté, cette réforme risque d’aggraver la situation des plus fragiles. « Ceux qui peinent déjà à s’insérer seront les premiers pénalisés », alerte un responsable associatif. La réduction ou la suppression totale des allocations pourrait entraîner des effets en cascade : perte de logement, isolement, surendettement, détérioration de la santé mentale.
Le décret introduit une gradualité des sanctions, mais celle-ci repose sur des seuils très élevés : -30 % dès la première infraction, jusqu’à -100 % en cas de récidive. Le Conseil d’État pourrait être saisi pour excès de pouvoir, tant l’ampleur des pénalités paraît disproportionnée face à des infractions parfois mineures.
Sur le terrain, des agents désorientés
Ce tour de vis réglementaire ne s’accompagne pas, pour l’heure, d’un outillage suffisant. Plusieurs agents de France Travail, interrogés sous anonymat, confient leur malaise. « On nous demande de sanctionner plus vite, mais on n’a ni les outils ni les repères pour le faire équitablement », explique une conseillère. Comme pour la réforme du RSA conditionné, la mise en œuvre semble précipitée, sans véritable formation ni protocole d’évaluation.
Ce flou opérationnel renforce le risque de décisions arbitraires et alimente un sentiment d’injustice chez les demandeurs d’emploi. D’autant que l’intensification des contrôles s’accompagne d’un discours stigmatisant, qui tend à assimiler l’absence d’emploi à un défaut de volonté.