Ce n’est pas un communiqué officiel. Pas encore. C’est une notification relayée dans la presse spécialisée — La Lettre, d’abord — et aussitôt reprise, commentée, amplifiée. Mais l’effet est là : Bruxelles prépare l’inscription de Monaco sur sa liste noire des pays tiers à haut risque. Une décision qui, au fond, ne surprend personne… sauf peut-être le prince Albert II, à l’heure où son Rocher s’apprête à accueillir Emmanuel Macron en grande pompe.
On ne pouvait rêver plus mauvais timing, ou plus efficace levier diplomatique. Ce signal-là, pour un État dont toute la réputation repose sur la respectabilité feutrée de sa place financière, vaut condamnation.
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Une condamnation prévisible
Monaco traîne depuis un an le lest de son inscription sur la liste grise du GAFI. C’était en juin 2024. Et en février dernier, aucune avancée n’a suffi à en sortir. Or, dans les arcanes de la régulation financière, les effets de domino sont redoutablement prévisibles : une juridiction mise sous surveillance par le GAFI devient, à brève échéance, une cible pour l’Union européenne. Ce qui était prévisible devient, cette semaine, inévitable.
Pierre-André Chiappori, le ministre monégasque de l’Économie, s’agace. Il parle de “bruits fallacieux”, d’“affabulations”. Puis admet du bout des lèvres que cette décision européenne, si elle venait à se concrétiser, serait… une “conséquence quasi automatique”. Démenti dans la forme, aveu dans le fond. L’art diplomatique de ne pas perdre la face.
Une réputation ternie
Qu’implique concrètement cette liste noire ? Ni embargo, ni gel d’avoirs. Mais un ralentissement, à la faveur de “mesures de vigilance renforcées” pour toutes les institutions européennes en lien avec Monaco. Les banques freinent. Les assureurs s’interrogent. Les investisseurs contournent. Et dans l’opacité des circuits d’art ou d’immobilier de luxe, le doute devient poison.
Monaco rejoindrait ainsi un club pour le moins embarrassant : Afghanistan, Corée du Nord, Barbade, Panama. La comparaison est injuste, certes. Mais elle s’imprime. Et sur la scène européenne, l’image compte parfois autant que les bilans.
Des réformes en trompe-l’œil
Les autorités monégasques ne sont pas restées inertes ces derniers mois. Création de l’Autorité monégasque de sécurité financière (AMSF), arrivée de Bruno Dalles — ex-patron de Tracfin — à sa tête. Sans convaincre totalement.
Pour Damien Carême, eurodéputé écologiste bien informé des coulisses bruxelloises, la méfiance reste entière. Il évoque un “manque de transparence structurel”, en particulier sur l’origine des fonds dans l’immobilier. Et dans les coulisses des sanctions européennes contre les oligarques russes, Monaco n’a pas vraiment brillé par sa coopération.
Le ver est dans le Rocher : tensions internes et affaires sensibles
Bruxelles ne frappe pas un État stable. Elle désigne une Principauté en pleine zone de turbulence. Le climat local est délétère. Un procès hors norme pour corruption, blanchiment et faux résidents belges vient de s’ouvrir. Des tensions entre promoteurs immobiliers, des rumeurs de conflits d’intérêts, des affaires touchant même l’entourage du Prince : tout concourt à donner l’image d’un État en équilibre instable sur son propre mythe.
Le Conseil national, habituellement discret, a sonné l’alerte fin mai. Manque d’effectivité des réformes, rétention de textes juridiques, retards dans la publication des guides. Même à Monaco, l’inquiétude suinte désormais hors des dorures.
Tout n’est pas scellé. L’inscription sur la liste noire européenne doit encore être entérinée par le Parlement. Et si elle devient effective, Monaco pourra en sortir. À condition de livrer enfin les preuves tangibles d’un changement de paradigme.