IA : l’inquiétant retard des PME françaises

Les PME et ETI françaises accusent un retard structurel dans l’adoption de l’IA, malgré une conscience aiguë de ses enjeux à court terme.

L’intelligence artificielle est partout : dans les discours, les promesses, les interfaces, les peurs et les communiqués. Partout… sauf, ou si peu, dans les rouages profonds des PME et ETI françaises. Une contradiction que révèle, sans fard, l’étude publiée le 4 juin 2025 par Bpifrance Le Lab. Derrière la rhétorique de l’urgence numérique, une réalité s’impose : les entreprises du cœur de l’économie française accusent un retard structurel et stratégique dans l’adoption de l’IA. Et ce n’est pas faute de lucidité.

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58 % des dirigeants interrogés considèrent l’IA comme cruciale pour la survie de leur entreprise d’ici trois à cinq ans. Et pourtant, 57 % n’ont toujours pas de stratégie IA. Il y a là quelque chose de l’ordre du hiatus : une conscience aiguë des bouleversements à venir, mais une inertie à l’œuvre. Une majorité des entreprises n’a même pas statué sur l’utilisation d’outils comme ChatGPT. L’IA s’impose dans l’air du temps, mais peine à percoler dans les chaînes de valeur. Ce que la banque publique nomme avec tact une « révolution tranquille » ressemble de plus en plus à une prudence paralysante.

Freins visibles, racines profondes

Pourquoi tant d’hésitation ? Parce que l’IA n’est pas un simple outil qu’on branche. Les entreprises mal préparées à absorber le choc structurel préfèrent donc ajourner.

Premier blocage : les données. Ou plutôt leur absence d’exploitation. 43 % des PME-ETI n’analysent pas les données dont elles disposent. Ce n’est pas une faiblesse technique, c’est un angle mort stratégique. Sans cette matière première, l’IA ne fait que générer du mirage.

Deuxième verrou : le coût, réel ou fantasmé. Les dirigeants évoquent des investissements élevés, des bénéfices flous, une technologie mouvante. Derrière l’argument budgétaire se cache souvent une incertitude plus vaste : celle de ne pas savoir par où commencer, avec qui, pour quoi.

Enfin, l’humain. La résistance interne, le manque de formation, l’isolement des dirigeants, la méfiance face aux IA génératives perçues comme des boîtes noires ou des menaces. « Sans boussole stratégique dans un monde trop mouvant », écrit sobrement le rapport. C’est là toute la difficulté : l’IA ne se décrète pas, elle s’apprend, se débat, se co-construit.

Une fracture sectorielle et sociale

Le retard n’est pas uniforme, il est fractal. Les secteurs du numérique, de la finance ou des services affichent une adoption supérieure à 70 %. Ailleurs, dans la construction, la logistique ou le commerce de proximité, les taux s’effondrent. Ces écarts sont parfois justifiés (tâches peu automatisables), mais souvent révélateurs d’un décrochage culturel plus large.

Même logique côté profils. Les dirigeants jeunes, diplômés, et majoritairement masculins utilisent davantage l’IA générative. Moins de 40 % des femmes dirigeantes y recourent, contre près de 50 % chez les hommes. Le niveau de diplôme double ou triple les taux d’adoption. L’IA, loin d’être un vecteur de démocratisation, révèle – voire amplifie – les lignes de fracture existantes dans l’économie française.

L’illusion de l’adoption

Mais attention aux chiffres flatteurs. Car même parmi les adopteurs, l’usage reste souvent superficiel. 54 % des entreprises qui utilisent l’IA se contentent de solutions gratuites, non intégrées, peu contextualisées. L’IA est alors réduite à un gadget d’efficacité, loin des promesses de transformation. Optimiser oui ; innover, beaucoup moins. Seules 16 % mentionnent un accès à de nouveaux marchés comme motivation principale.

En clair : la majorité des PME et ETI qui utilisent l’IA le font sans en faire un levier stratégique. Ce n’est pas de la transformation, c’est de l’expérimentation périphérique.

Le surplace est-il une stratégie ?

Paradoxalement, cette prudence agit aussi comme une forme de protection. En ne cédant pas aux sirènes de l’innovation rapide, les entreprises évitent des investissements précipités, souvent mal ciblés. Elles s’achètent du temps. Mais ce délai est périssable. La fenêtre se refermera si elle n’est pas exploitée pour bâtir les fondations nécessaires.

Et ces fondations sont connues : collecter et structurer les données. Former les collaborateurs. Impliquer les équipes métiers. Mettre en réseau les dirigeants. Choisir l’usage avant la technologie. En somme, adopter une IA “en conscience”, comme le propose la consultante Helen Zeitoun, et non par mimétisme ou panique.

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