Hydrogène vert : une crise à 10 milliards d’euros

Après l’emballement spectaculaire de 2020-2021, le secteur de l’hydrogène vert traverse une crise de croissance brutale. Entre faillites, retards et espoirs contrariés, la promesse d’une révolution énergétique semble suspendue à des choix industriels, politiques et réglementaires cruciaux.

Il y a trois ans à peine, l’hydrogène vert s’annonçait comme un pilier de la transition énergétique. Porté par des politiques publiques ambitieuses, des marchés financiers en quête d’actifs durables et une frénésie technologique, le secteur attirait capitaux et promesses.

En France, McPhy, spécialiste des équipements de production, voyait son action bondir de 700 % en un an. HRS entrait en Bourse dans l’euphorie, et Hydrogène de France levait 130 millions d’euros. Aujourd’hui, le retournement est sévère : McPhy a été placé en liquidation judiciaire, le titre de HRS a chuté de plus de 90 %, et Hydrogène de France a perdu plus des deux tiers de sa valorisation.

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Une bulle spéculative alimentée par les politiques monétaires et le financement ESG

Le boom éclair de l’hydrogène vert s’explique par une conjonction de facteurs : des taux d’intérêt historiquement bas, une montée en puissance des fonds ESG, et une impulsion politique forte, notamment au niveau européen. Dans un contexte post-Covid, les investisseurs cherchaient les technologies propres de demain. L’hydrogène vert, produit par électrolyse à partir d’électricité renouvelable, incarnait cet espoir.

Mais, à l’image d’autres bulles vertes comme celle de la viande végétale, l’écart entre projections idéalisées et réalité technique s’est brutalement révélé.

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Les limites technologiques freinent l’industrialisation de l’hydrogène vert

Contrairement à l’éolien ou au solaire, désormais compétitifs sans subventions, l’hydrogène vert reste tributaire d’un soutien public massif. Son rendement énergétique est faible, et son industrialisation pose des défis techniques majeurs.
Les jeunes entreprises du secteur ont tenté de passer d’électrolyseurs de quelques mégawatts à des projets industriels de 100 à 300 MW. Ce changement d’échelle s’est avéré plus complexe que prévu, tant sur le plan technique que financier.

Le développement de la filière est également freiné par des obstacles administratifs et réglementaires. Les subventions tardent à être versées, les autorisations sont longues à obtenir, et certaines définitions clés – comme celle de l’hydrogène produit à partir du nucléaire – restent en débat.
En 2024, plusieurs projets ont été stoppés net. Hyvia, coentreprise entre Renault et Plug Power, a été liquidée. GTT a réorienté sa filiale Elogen, avec 110 suppressions de postes à la clé. L’absence de cadre stable alimente la défiance.

La réglementation européenne sur l’hydrogène se clarifie enfin en 2024

Pour sortir de l’impasse, l’Union européenne a commencé à structurer un cadre réglementaire cohérent. En mai 2024, le paquet législatif « Hydrogène et gaz décarboné » a été adopté. La directive (UE) 2024/1788, entrée en vigueur en août, établit les règles communes pour intégrer l’hydrogène renouvelable dans les marchés de l’énergie.
Deux actes délégués viennent préciser la définition de l’hydrogène renouvelable, notamment le principe d’additionnalité : seuls les électrolyseurs alimentés par de nouvelles sources d’électricité verte seront considérés comme « renouvelables ».
En France, un arrêté du 1er juillet 2024 fixe les seuils d’émissions autorisés pour qualifier une production d’hydrogène de « renouvelable » ou « bas carbone ».

Les subventions européennes massives visent une relance ciblée

L’Union européenne mobilise des moyens financiers considérables pour relancer le secteur. Le plan REPowerEU prévoit 210 milliards d’euros d’investissements entre 2022 et 2027, dont 225 milliards de prêts via la Facilité pour la Reprise et la Résilience.
Deux projets IPCEI, Hy2Tech et Hy2Use, ont été lancés pour structurer la filière industrielle et soutenir l’émergence d’une chaîne de valeur européenne. Ensemble, ils bénéficient de plus de 10 milliards d’euros d’aides publiques.
Objectif pour 2030 : produire 10 millions de tonnes d’hydrogène renouvelable en Europe et en importer autant. Cela nécessitera près de 500 TWh d’électricité verte.

Lhyfe : un modèle plus résilient dans un secteur instable

Parmi les rares acteurs à mieux résister, Lhyfe incarne une stratégie plus intégrée et prudente. Producteur d’hydrogène vert, l’entreprise vend directement à ses clients industriels ou de la mobilité, installe des unités de production sur site, et conserve une indépendance technologique en travaillant avec des fournisseurs comme l’Américain Plug Power.
Malgré une baisse de 62 % de sa valeur en Bourse, Lhyfe exploite déjà plusieurs sites et développe des projets de grande envergure. Sa maîtrise de toute la chaîne – de l’électricité à la livraison – en fait un acteur à part.



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