Bore-out : l’ennui au travail, fléau des salariés français

L’ennui n’est pas un luxe. Pour des milliers de salariés, c’est un poison lent. Le bore-out, pathologie encore ignorée, mine de plus en plus de salariés désengagés.

Peu visible mais dévastateur, le bore-out est l’un des maux les plus sous-estimés du monde du travail. Ce syndrome, causé non par une surcharge mais par un vide professionnel, ronge une partie croissante des salariés. À l’heure où le burn-out a gagné une reconnaissance sociale et juridique, son jumeau silencieux reste encore relégué à l’arrière-plan. Pourtant, ses effets sur la santé mentale sont tout aussi ravageurs.

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Le silence toxique du bore-out

Peut-on sombrer psychologiquement lorsqu’on ne fait rien ? La question peut surprendre dans une société qui valorise la performance, l’activité, l’urgence. Pourtant, un mal grandissant se répand dans les bureaux : celui de l’ennui forcé, du travail vidé de sa substance.

Selon le baromètre d’Ignition Program (2024), 47 % des salariés français se disent mentalement désengagés, et 40 % en souffrance ou soumis à un stress élevé. Si le burn-out, né de la surcharge, a fini par obtenir une reconnaissance médiatique et médicale, le bore-out, lui, agit dans l’ombre. Un mal sans éclat, mais aux conséquences bien réelles.

Un mal qui use sans bruit

Le bore-out ne survient pas chez ceux qui travaillent trop, mais chez ceux à qui l’on ne donne plus rien à faire — ou presque. Pas de pression, pas d’urgences : juste une vacuité quotidienne. Le salarié concerné est assigné à des tâches sans intérêt, parfois sans but, ou simplement laissé à lui-même, sans projet.

Les symptômes s’installent progressivement : fatigue diffuse, perte de motivation, sentiment d’inutilité, troubles du sommeil, ruminations, voire état dépressif. Le tout dans un environnement qui, souvent, valorise le fait d’être occupé plutôt qu’utile.

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Une épidémie sous-estimée

Une étude de 2019 révélait déjà que 63 % des Français s’ennuyaient au travail. En 2024, la tendance s’aggrave : 53 % déclarent subir un stress élevé, soit une augmentation de 13 points en un an.

Ce désengagement, loin d’être une simple lassitude, touche en profondeur l’estime de soi. L’ennui professionnel devient toxique quand il se prolonge et que le salarié n’a plus les moyens — ni parfois le droit — de retrouver une utilité dans son poste.

Contrairement à certaines idées reçues, le bore-out ne touche pas uniquement des fonctionnaires en fin de carrière. Il frappe notamment les jeunes cadres, souvent porteurs d’une forte ambition, frustrés par des missions creuses ou des tâches sans impact. Les 18-25 ans sont particulièrement affectés, avec une surreprésentation de 10 % dans les cas de désengagement.

Les populations subordonnées présentent également des risques accrus : +16 % de distance mentale, +5 % d’épuisement physique, +3,5 % de distance émotionnelle. Les femmes sont plus nombreuses à en souffrir, avec une surreprésentation de 9 %.

Certains secteurs sont en alerte rouge : immobilier (+58 %), SSII (+32 %), énergie (+15 %). Dans les TPE, la souffrance au travail a bondi de 42 % en 2023 à 58 % en 2024.

Une vacuité organisée : causes structurelles

Le bore-out n’est pas une pathologie individuelle, mais le symptôme d’un dysfonctionnement collectif. Il émerge dans des contextes de travail fragmenté, de réorganisations mal menées, de managements rigides.

Parfois, des salariés sont “placardisés” sans le dire, maintenus artificiellement à un poste sans contenu réel. La logique du présentéisme, où l’on valorise la présence plus que la contribution, pousse certains à simuler l’activité, d’autres à sombrer dans une forme de résignation silencieuse.

Une atteinte identitaire et collective

Plus qu’un désengagement professionnel, le bore-out est une blessure identitaire. Ne plus être utile, ne plus être reconnu, finit par ronger l’estime de soi. Beaucoup de salariés n’osent en parler, par peur d’être incompris, ou de paraître “ingrats”.

À l’échelle de l’entreprise, cette souffrance diffuse crée un climat délétère : défiance entre collègues, baisse de créativité, désintégration de la dynamique collective. Pour les organisations, cela se traduit par une baisse de productivité, un turnover accru et une érosion des performances.

Vers une reconnaissance officielle

Longtemps absent des radars juridiques, le bore-out commence à obtenir une reconnaissance symbolique. Le 2 juin 2020, la Cour d’appel de Paris a condamné un employeur pour harcèlement moral dans un cas de bore-out, l’obligeant à verser 40 000 euros de dommages-intérêts.

S’il ne figure pas encore au tableau officiel des maladies professionnelles, il peut être reconnu au cas par cas par la CPAM, sur la base d’une expertise médicale.

Des outils d’évaluation émergent aussi : le test développé par Moodwork, validé scientifiquement, permet de mesurer les quatre dimensions du bore-out : sous-charge, sous-stimulation, vécu négatif et inadéquation des valeurs.

Prévenir, agir, transformer

La sortie du bore-out passe d’abord par la reconnaissance du problème. Il s’agit de détecter les signaux faibles : missions appauvries, absences de perspectives, salariés silencieux.

Les employeurs peuvent agir : mobilités internes, formations, feedbacks réguliers, valorisation des rôles transversaux.
Côté salarié, le « job crafting » gagne du terrain : adapter sa fiche de poste, redéfinir ses missions, transformer la manière d’envisager son travail. Il faut pouvoir exprimer son désengagement sans culpabilité, pour construire un rapport au travail plus ajusté et plus vivant.


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