En France, le congé de paternité a été renforcé par la loi. Mais entre droit et réalité, le décalage demeure. Si les pères ont aujourd’hui le droit de s’absenter pour accueillir un enfant, leur accès effectif à ce temps parental reste entravé par les usages, les mentalités et les inégalités sociales.
Depuis juillet 2021, les pères peuvent bénéficier d’un congé paternité et d’accueil de l’enfant de 25 jours calendaires, fractionnable et partiellement obligatoire. À cela s’ajoutent les 3 jours de congé de naissance, pris en charge par l’employeur. Sur le papier, les droits sont donc là : indemnisation par la Sécurité sociale, protection contre le licenciement, possibilité d’un congé parental ou de temps partiel partagé avec la mère.
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Mais la réalité est plus contrastée. Si la grande majorité des salariés prennent les 4 jours obligatoires qui suivent immédiatement la naissance, seuls 7 pères sur 10 recourent à l’intégralité du congé prolongé. Et les disparités sont importantes selon les professions, les secteurs d’activité et les statuts contractuels.
Une culture du soupçon autour de la paternité
Dans de nombreuses entreprises, le congé paternité reste perçu comme une anomalie. Certains employeurs le tolèrent du bout des lèvres, sans toujours en faciliter l’organisation. D’autres, plus discrets, font comprendre que s’absenter longtemps peut nuire à la carrière. La pression managériale, explicite ou non, joue encore un rôle majeur dans le non-recours aux droits.
« On m’a fait comprendre que mon absence tomberait mal. On m’a demandé si je ne pouvais pas revenir plus tôt », confie Julien, cadre dans une PME industrielle. Comme lui, de nombreux pères préfèrent écourter leur congé, voire n’en prendre qu’une partie, par crainte de passer pour « peu impliqués » professionnellement.
Cette pression s’exerce d’autant plus que les politiques RH valorisent rarement l’engagement parental masculin. Là où les congés maternité sont encadrés, attendus, et partiellement intégrés dans les processus internes, la paternité reste une affaire personnelle, laissée à la discrétion du salarié.
Des inégalités sociales renforcées
Le recours au congé paternité varie aussi selon les catégories sociales. Il est plus fréquent dans le secteur public ou dans les grandes entreprises, où des accords collectifs garantissent souvent un maintien de salaire intégral. Ailleurs, notamment dans les PME, les intérimaires ou les contrats précaires, les pères hésitent à faire valoir leurs droits, faute de couverture suffisante ou de relais possible.
Même au sein des familles, la parentalité reste déséquilibrée. Le congé parental d’éducation, pourtant accessible aux deux parents, reste largement accaparé par les mères. La prestation partagée d’éducation (PreParE), qui encourage un partage du congé parental, est encore peu utilisée par les pères, malgré les incitations de la CAF.
Les pères non cohabitants, séparés ou en situation de garde partagée, rencontrent également davantage d’obstacles. Certains dispositifs, comme les autorisations d’absence ou la priorité dans les plannings de congés, sont parfois réservés au parent « principal », créant une inégalité de traitement tacite.
Ce que peuvent faire les entreprises
Face à ces constats, certaines entreprises commencent à évoluer. Des politiques RH plus inclusives intègrent la parentalité masculine dans les chartes de qualité de vie au travail (QVT). Des directions valorisent explicitement les congés paternité, proposent un accompagnement au retour ou mettent en place des dispositifs de télétravail spécifiques pour les jeunes parents.
Mais ces initiatives restent isolées. Pour que les pères puissent assumer pleinement leur rôle, les entreprises doivent dépasser la logique du « congé autorisé » et reconnaître la paternité comme un droit professionnel légitime. Cela passe par une information claire des salariés, une formation des managers, et un suivi équitable du retour dans l’organisation.