Deux mois après avoir déclenché une guerre commerciale d’une intensité inédite contre la Chine, Donald Trump se retrouve confronté aux limites de sa stratégie. Loin de plier, Pékin a opposé une résistance méthodique, révélant les failles de l’économie américaine et retournant la logique d’escalade à son avantage. Alors que les conséquences de ce bras de fer se font encore sentir sur les marchés et dans les alliances géopolitiques, une certitude émerge : la Chine a su gagner sans fracas une guerre que Washington pensait éclair.
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Le 2 avril 2025, Donald Trump, tout juste revenu à la Maison Blanche, déclenche une guerre commerciale d’une intensité sans précédent. Sous le slogan de « l’Amérique d’abord », il impose des tarifs douaniers massifs allant de 10 % à 49 % à l’ensemble des partenaires commerciaux des États-Unis.
La Chine, cible principale de cette offensive, voit ses exportations taxées à hauteur de 54 %, puis 95 %, jusqu’à atteindre 145 % en moins de dix jours. Pékin réplique immédiatement, marquant le début d’un bras de fer économique à très haute tension.
Une Chine préparée à l’affrontement
Une doctrine de résilience stratégique
Loin d’être prise de court, la Chine s’était préparée depuis plusieurs années à une telle confrontation. Sous l’impulsion de Xi Jinping, le pays a opéré un tournant majeur, privilégiant l’autosuffisance technologique à la croissance pure. Le mot d’ordre : renforcer les « forces productives de nouvelle qualité » – un ensemble de politiques visant à développer l’intelligence artificielle, l’industrie verte, les semi-conducteurs et les technologies de rupture.
Dans le même temps, Pékin a multiplié ses accords commerciaux avec l’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie du Sud-Est, réduisant progressivement sa dépendance au marché américain.
Une riposte calibrée et progressive
La réponse chinoise ne tarde pas : droits de douane à 34 % dès le 9 avril, portés à 84 % le lendemain, puis à 125 % le 12 avril. Pékin s’aligne sur l’agressivité tarifaire de Washington, tout en évitant l’escalade déstabilisatrice.
S’y ajoutent des mesures non tarifaires ciblées. Le 4 avril, la Chine restreint l’exportation de terres rares, essentielles à l’industrie technologique américaine. Des interdictions sont également imposées sur l’achat d’avions Boeing par les compagnies aériennes chinoises. Tesla et d’autres entreprises américaines se voient frappées de sanctions. Chaque geste est réfléchi, orienté vers des secteurs sensibles pour l’économie américaine.
Le talon d’Achille américain mis à nu
La guerre commerciale révèle les fragilités structurelles de l’économie américaine. Conçues selon le modèle du flux tendu, les chaînes d’approvisionnement américaines ne résistent pas au choc. Les systèmes logistiques basés sur le « juste-à-temps » deviennent des handicaps majeurs, alors que les fournisseurs asiatiques voient leurs produits surtaxés ou bloqués.
La Réserve fédérale révise ses prévisions de croissance : de 2,1 %, elles chutent à 1,7 % pour l’année 2025. Jerome Powell alerte sur une inflation perturbée et une économie sous pression.
À cela s’ajoute une confusion grandissante du côté américain. Le 11 avril, les douanes exemptent les smartphones et ordinateurs portables des surtaxes. Deux jours plus tard, Trump déclare qu’« aucune exception » n’a été décidée. Le Wall Street Journal parle d’une stratégie « déroutante », marquée par des revirements arbitraires.
L’incertitude s’installe dans les milieux d’affaires, confrontés à une « économie des droits de douane » où les règles changent du jour au lendemain.
Quand Washington commence à céder
À partir de la mi-avril, les signes de recul s’accumulent. Face à la pression des grands groupes technologiques, l’administration Trump multiplie les exemptions ciblées : semi-conducteurs, produits électroniques, pièces automobiles.
Les économistes de JPMorgan estiment alors à 40 % la probabilité d’une récession d’ici la fin de l’année. Chez Goldman Sachs, la croissance américaine est réévaluée à la baisse, de 2,2 % à 1,7 %.
Le 12 mai, à l’issue de deux jours de négociations à Genève, un accord de désescalade est signé. Les États-Unis réduisent leurs droits de douane de 145 % à 30 %, soit un recul de 115 points. La Chine, elle, passe de 125 % à 10 %.
Officiellement équilibrée, la réduction masque une asymétrie fondamentale : les États-Unis partaient d’un niveau de taxation plus élevé, révélateur de leur agressivité initiale. L’accord prévoit une suspension de 90 jours, mais l’initiative du retrait est clairement américaine.
Pourquoi la Chine a gagné
Pékin a tenu grâce à sa préparation : investissements dans l’innovation, diversification des flux commerciaux, renforcement des capacités industrielles. Cette autonomie relative a permis d’absorber le choc sans céder.
La Chine a également su tirer profit des dépendances inversées. Produits électroniques, composants critiques, technologies de pointe : les États-Unis ne disposent pas d’alternatives immédiates. À l’inverse, Pékin peut remplacer le soja ou le pétrole américain par d’autres fournisseurs.
Sur le plan international, Pékin capitalise sur sa victoire. Un fonds de 66 milliards de yuans est annoncé pour soutenir l’Amérique latine et les Caraïbes. Le ministre Wang Yi appelle les pays du Sud à « résister collectivement à l’usage des droits de douane comme arme d’intimidation ».
En Asie, la Chine ravive la coopération régionale : elle relance les négociations pour un accord de libre-échange avec la Corée du Sud et le Japon, gelées depuis cinq ans.
L’administration Trump sort affaiblie. Sa posture agressive a isolé les États-Unis, en érodant la confiance de ses partenaires traditionnels. Beaucoup y voient un tournant : un moment où l’autorité commerciale de Washington cesse d’être perçue comme incontestée.
Une guerre révélatrice
Cette guerre commerciale n’aura pas seulement mis à l’épreuve les deux premières puissances économiques mondiales. Elle a révélé un changement d’époque. Tandis que les États-Unis misaient sur la confrontation directe et la pression immédiate, la Chine s’est appuyée sur une stratégie patiente, fondée sur la résilience, l’innovation et la diversification de ses leviers d’influence.
Ce bras de fer n’a pas abouti à un vainqueur officiel. Mais ses effets sont durables : affaiblissement de la crédibilité commerciale américaine, renforcement des alliances chinoises, et repositionnement global des équilibres économiques. Plus qu’un revers tactique pour Washington, il marque l’émergence d’un nouveau rapport de force, où la stratégie de long terme prend l’avantage sur l’intimidation à court terme.