Samedi 10 mai 2025. L’Olympique de Marseille vient de valider sa qualification en Ligue des champions, terminant deuxième d’un championnat âprement disputé. Sur le bord du terrain, Pablo Longoria, costume ajusté et regard brillant, savoure la victoire de son projet. À 38 ans, le plus jeune président de l’OM depuis 1909 a redonné au club phocéen une direction, une méthode et un horizon.
Pourtant, rien ne prédestinait cet enfant d’Oviedo, ville austère du Nord de l’Espagne, sans diplôme prestigieux ni passé de joueur, à prendre les rênes d’un géant aussi instable. Son histoire est celle d’un autodidacte absolu qui a fait de sa passion un pouvoir.
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Une passion précoce devenue discipline
La trajectoire de Pablo Longoria commence très tôt. Dans les années 1990, à Oviedo, il transforme la maison familiale en centre d’observation footballistique. À cinq ans, il mémorise les effectifs complets des clubs italiens. Très vite, ses parents installent quatre paraboles pour lui permettre de capter un maximum de championnats européens.
Loin de se contenter de regarder, le jeune Pablo structure sa passion. Il archive, classe, rédige des fiches de joueurs, revoit inlassablement les mêmes séquences. À 12 ans, il déploie une autre stratégie : il utilise FIFA et Football Manager non comme jeux, mais comme simulateurs d’analyse. Il y apprend les profils de milliers de joueurs, les logiques de transfert, les systèmes tactiques. Son apprentissage est intégralement empirique, nourri par la répétition, la curiosité et l’obsession.
Du virtuel à la reconnaissance
Ce savoir brut, Longoria le formalise en créant son propre site web d’analyse de joueurs à 12 ans. Il y partage ses prédictions, ses fiches, ses intuitions. Ce blog d’adolescent passionné lui ouvre les portes des forums spécialisés, où il croise des journalistes et agents influents. L’un d’eux, Axel Torres, repère sa plume et l’invite à participer à une émission sur Radio Marca.
C’est là que Longoria fait ses premières armes médiatiques. À 16 ans, il signe des chroniques dans lesquelles il évoque déjà des joueurs encore inconnus du grand public, comme Henrikh Mkhitaryan. Peu après, un agent local, Eugenio Botas, lit l’un de ses carnets laissés dans son bureau : impressionné, il l’engage immédiatement. Longoria entre dans le monde professionnel sans passer par aucune filière classique.
Un tour d’Europe pour se forger
Sa première mission en club, il l’obtient à 21 ans, comme recruteur à Newcastle United. Suivent plusieurs expériences en Espagne (Recreativo Huelva) puis en Italie, où il passera près de huit ans à l’Atalanta Bergame, Sassuolo, puis à la Juventus. Dans chacun de ces clubs, il affine ses outils : visionnage intensif, synthèses de données, capacité à anticiper les trajectoires de joueurs.
À la Juve, il contribue notamment au recrutement de Rodrigo Bentancur, repéré avant son explosion. Cette période est celle de la maturation : Longoria y apprend la rigueur, la discrétion, mais aussi la négociation. À 32 ans, il devient directeur sportif du FC Valence, où il valide ses compétences à haut niveau. En 2019, le club remporte la Coupe d’Espagne et se qualifie en Ligue des champions.
L’OM, laboratoire de pouvoir
C’est à Marseille que Longoria va passer du statut de technicien de l’ombre à celui de dirigeant. Recruté comme directeur général en charge du football en juillet 2020, il est propulsé président huit mois plus tard, à la suite du départ précipité de Jacques-Henri Eyraud. Il devient alors l’homme fort d’un club instable, où les présidents défilent au rythme des crises.
Longoria se distingue d’emblée par son approche analytique et sa capacité à restructurer l’organigramme. Il s’entoure de profils complémentaires : Javier Ribalta à la direction du football, puis Mehdi Benatia comme directeur sportif. Il impose une doctrine claire : pas de dépenses incontrôlées, mais un recrutement basé sur l’identification de talents à fort potentiel de revente. Il parle de « trading intelligent », à rebours des logiques de stars.
Résultats et méthode
La saison 2024-2025 valide les choix de Longoria : une qualification directe en Ligue des champions, une affluence record au Vélodrome et un effectif stabilisé. Loin de céder aux pressions, il assume un mercato raisonné, misant sur l’optimisation plutôt que le clinquant. Sa relation étroite avec Roberto De Zerbi, prolongé à la tête de l’équipe, illustre sa volonté de continuité dans un club historiquement fragmenté.
Face aux fuites internes et aux ingérences extérieures, il durcit le ton. « À Marseille, se mêler de ce qui ne regarde pas les gens est une maladie. Je vais l’éradiquer » lâche-t-il. Il crée une cellule restreinte autour du staff technique, surnommée « Guantánamo », pour protéger le groupe. Sa ligne de conduite : professionnaliser l’environnement, coûte que coûte.
Un dirigeant né hors système
Longoria incarne une nouvelle génération de présidents, plus proche des data analysts que des figures charismatiques à l’ancienne. Son management repose sur des piliers clairs : apprentissage permanent, transversalité culturelle (il parle six langues), structuration des processus, refus du culte de la personnalité.
« Ce qu’on sait faire très bien, c’est chercher des opportunités de marché », résume-t-il. À Marseille, il a importé une culture de l’innovation, du détail, de l’efficience. Il valorise la formation continue des équipes, l’usage des technologies dans le recrutement, et construit un environnement cosmopolite adapté aux exigences du football moderne.