Prédire le temps n’a jamais été un exercice neutre. Derrière chaque bulletin météo se cachent des vies humaines, des milliards en infrastructures, des chaînes logistiques globales et la résilience des territoires face aux catastrophes climatiques. Selon la base de données EM-DAT de l’Université catholique de Louvain, les inondations ont affecté 2,5 milliards de personnes au cours des vingt dernières années, causé la mort de 250 000 personnes et généré près de 936 milliards d’euros de dégâts.
Améliorer la précision des prévisions, surtout lors d’événements extrêmes, est devenu une priorité mondiale. Une étude publiée dans Nature Communications estime que des prévisions améliorées grâce à l’IA pourraient éviter chaque année jusqu’à 143 milliards de dollars de pertes économiques. Dans ce contexte, une nouvelle course s’engage entre laboratoires, États et géants du numérique.
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Une course mondiale, entre géants de la tech et puissances publiques
Depuis 2022, la météorologie assistée par l’IA est devenue un champ d’innovation stratégique. Google, Microsoft, IBM ou encore des institutions publiques comme Météo-France rivalisent pour développer les modèles les plus performants. L’objectif : anticiper avec davantage de précision, plus rapidement, et avec des ressources computationnelles réduites.
Cette révolution repose sur une rupture majeure : l’abandon (partiel ou total) des équations physiques complexes qui régissent les modèles traditionnels au profit d’architectures d’apprentissage automatique formées sur des milliards de données atmosphériques, historiques ou en temps réel. Les résultats sont spectaculaires.
Les nouveaux modèles qui changent la donne
Aurora (Microsoft) : percée majeure de 2025
Le 21 mai 2025, la revue Nature a publié les résultats d’Aurora, un modèle développé par Microsoft, en partenariat avec les universités de Pennsylvanie, Cambridge et Amsterdam. Aurora surpasse les systèmes classiques dans plus de 91 % des cas pour des prévisions à dix jours, avec une résolution de 10 kilomètres.
Son avantage n’est pas seulement prédictif. Aurora génère des résultats en quelques secondes, contre plusieurs heures pour les supercalculateurs traditionnels. L’entraînement du modèle a duré huit semaines, contre plusieurs années pour les systèmes physiques.
Aurora s’est distingué notamment par sa capacité à anticiper l’ensemble des ouragans de 2023 uniquement à partir de données historiques, surpassant même les centres opérationnels américains dans la précision de la trajectoire.
GraphCast (Google DeepMind) : le précurseur silencieux
Présenté dès 2023 dans Science, GraphCast de DeepMind a marqué le premier tournant. Grâce à un entraînement sur les archives du Centre européen de prévision météorologique à moyen terme (ECMWF), il a produit des prévisions de 10 jours en moins d’une minute, avec une précision supérieure dans 90 % des cas testés.
Aardvark Weather (Cambridge) : l’IA météo sur ordinateur portable
Autre innovation de taille : Aardvark Weather, développé par Cambridge et l’Alan Turing Institute avec Microsoft Research. Ce modèle se distingue en n’utilisant que 8 % des observations des systèmes classiques, tout en maintenant un haut niveau de précision à dix jours. Plus surprenant encore : il peut fonctionner sur un simple ordinateur portable.
Une avancée majeure pour les pays en développement, où l’accès aux supercalculateurs reste limité.
La riposte européenne : entre souveraineté technologique et ouverture
TerraMind : IBM et l’ESA ouvrent le jeu
Lancée en avril 2025 par IBM et l’Agence spatiale européenne (ESA), TerraMind associe observation satellitaire et IA dans un modèle open source aux performances remarquables. Il surpasse 12 modèles leaders sur plusieurs critères clés, tout en nécessitant dix fois moins de puissance de calcul.
Avec 1,5 gigaoctets de mémoire requis, TerraMind devient un outil accessible, capable de surveiller les océans, suivre les flottes maritimes ou détecter des espèces invasives.
La France : l’expertise discrète de Météo-France
Pionnière dans le domaine, Météo-France a intégré l’IA depuis plus d’une décennie. Son Lab IA, lancé en 2021, développe des outils d’apprentissage profond appliqués aux données de son modèle opérationnel Arome.
En 2024, l’organisme a dévoilé Espresso, un système capable d’estimer les précipitations en temps réel dans les territoires ultramarins dépourvus de radars. Testé lors du cyclone Chido à Mayotte, le modèle a fourni des estimations fiables grâce aux images satellites.
En parallèle, un prototype de modèle régional IA a été lancé en 2024 avec le CNRS, combinant apprentissage profond et modélisation physique. Ce travail s’inscrit dans une stratégie de convergence des approches, renforcée par le renouvellement des supercalculateurs prévu en 2025.
Météo, mais pas que : les autres champs d’application
L’intelligence artificielle météo déborde déjà du cadre climatique. Qualité de l’air, vagues océaniques, trajectoires de tempêtes tropicales, suivi des incendies, sécurité des récoltes agricoles : les modèles développés permettent de répondre à des besoins multiples et critiques.
Des modèles comme TerraMind ou GraphCast permettent d’anticiper les risques, de modéliser les réponses et d’intégrer des données pluridisciplinaires – topographie, pollution, évolution végétale – pour un diagnostic environnemental global.
Des promesses, mais aussi des défis
Malgré les avancées spectaculaires, des verrous demeurent :
- L’interprétabilité : comprendre comment les IA prennent leurs décisions reste complexe.
- La robustesse : comment garantir la fiabilité en conditions extrêmes ou dans des régions mal documentées ?
- La cohérence physique : de nombreux chercheurs travaillent sur des « réseaux de neurones informés par la physique », afin d’associer les atouts de l’IA aux lois fondamentales de l’atmosphère.
Ces défis nourrissent un débat de fond : l’IA est-elle un substitut ou un complément aux modèles traditionnels ? Pour beaucoup, l’avenir réside dans une modélisation hybride, où expertise humaine, physique et calcul automatique dialoguent.