L’annonce a fait l’effet d’un séisme dans l’écosystème technologique. Le 15 mai, OpenAI a officialisé l’acquisition de la startup io pour 6,5 milliards de dollars (environ 5,7 milliards d’euros). Une opération record dans l’histoire de l’entreprise, qui illustre une ambition aussi simple que radicale : réinventer l’interface entre l’humain et la machine.
Finis les écrans, les claviers, les menus. Place à une interaction continue, fluide et invisible, incarnée dans un objet de poche, sans écran, à l’écoute permanente. Ce pari audacieux, soutenu par Sam Altman et Jony Ive, marque peut-être la fin d’une époque : celle du mobile tel qu’on le connaît depuis l’iPhone.
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OpenAI et io : un pari radical sur l’audio pur
Loin des lunettes connectées de Google ou Meta, OpenAI travaille sur un dispositif « sans écran, sensible au contexte et de poche ». Un appareil qui miserait exclusivement sur l’audio et l’intelligence artificielle générative pour établir une interaction naturelle, presque humaine.
Les premiers prototypes testés en interne permettent une communication vocale en continu avec ChatGPT. Pas d’app à ouvrir, pas de texte à saisir : l’assistant anticipe les besoins de l’utilisateur en analysant son environnement, sa position, son rythme cardiaque ou encore le son ambiant. Objectif : une réponse dans un délai inférieur à 500 millisecondes. Autant dire en temps réel.
Pour y parvenir, OpenAI s’est entourée d’anciens cadres d’Apple — Tang Tan, Evans Hankey, Scott Cannon — et mobilise une équipe de 55 ingénieurs et designers. Une partie d’entre eux planche sur des puces dédiées, conçues pour exécuter localement les modèles de langage avec une faible consommation énergétique et une latence minimale.
Pourquoi l’écran ne suffit plus
Ce projet ne naît pas d’un simple caprice technologique. Il s’inscrit dans une critique assumée de l’interface visuelle dominante. « L’anxiété et les distractions liées au téléphone sont un héritage de mes propres designs », reconnaît Jony Ive, ancien chef du design chez Apple. Sam Altman renchérit : « Aujourd’hui, l’expérience utilisateur est comparable à un bombardement de notifications à Las Vegas. »
Leur alternative ? Une interface invisible, proactive, alimentée par une IA contextuelle et émotionnelle. Une machine qui écoute et comprend, sans réclamer l’attention de l’utilisateur. En d’autres termes, un assistant qui s’adapte à l’humain — et non l’inverse.
Mais ce modèle soulève des questions. L’écoute permanente, si elle offre fluidité et pertinence, interroge sur la vie privée. Et l’absence d’interface visuelle pose le problème de l’accessibilité, notamment pour les personnes sourdes ou malentendantes.
Meta et Google : la voie des lunettes intelligentes
Face à ce pari radical, d’autres géants privilégient une évolution plus incrémentale. Meta, avec ses lunettes Ray-Ban Stories, a déjà conquis un marché : 2 millions d’unités vendues en 2024. L’appareil, à 329 euros, permet de passer des appels, de prendre des photos et bientôt d’afficher des notifications via un micro-écran discret.
Son alliance avec EssilorLuxottica lui donne accès à un réseau mondial de distribution et à des marques populaires comme Oakley, qu’il compte mobiliser pour cibler les sportifs. L’approche est pragmatique : enrichir des objets du quotidien avec de l’IA, sans bouleverser les usages.
Google, de son côté, parie sur le haut de gamme. En collaborant avec Kering Eyewear (Cartier, Gucci, Saint Laurent), le géant californien prépare des lunettes Android XR intégrant la réalité augmentée. Navigation GPS, traduction visuelle, superposition d’informations contextuelles dans le champ de vision : la promesse est ambitieuse, mais le prix élevé (entre 1 500 et 2 000 euros) pourrait freiner son adoption.
Et Apple dans tout ça ?
Silencieuse ces derniers mois, la firme de Cupertino semble observer la partie depuis les coulisses. Aucune annonce majeure liée à Siri ou à un nouveau form factor n’est attendue à la WWDC 2025. L’entreprise travaille à l’intégration de puces IA plus performantes (Apple Silicon M3 Pro et Max) et à l’amélioration de la mémoire des iPhone (avec de la mémoire HBM d’ici 2027), mais reste fidèle à ses formats traditionnels.
Une stratégie prudente, mais risquée. « Si OpenAI parvient à intégrer l’IA dans son propre hardware, elle pourrait court-circuiter l’App Store et remettre en cause la position d’Apple dans le haut de gamme », alerte l’analyste Gil Luria. L’absence d’alternative crédible côté Apple pourrait ainsi lui coûter cher à moyen terme.
Une bataille pour l’interface du futur
Au-delà de la forme des appareils, c’est la nature même de l’interaction homme-machine qui est en jeu. Depuis l’avènement du smartphone, les écrans tactiles règnent sans partage. Mais l’émergence de l’IA générative redistribue les cartes.
OpenAI veut s’affranchir de l’interface visuelle. Google et Meta cherchent à l’augmenter. Apple semble vouloir la préserver. Ces trois approches incarnent des visions du monde différentes : décentralisée, augmentée, ou centrée.
Le rachat d’io, après ceux de Rockset et Windsurf (3 milliards de dollars), positionne OpenAI comme un acteur stratégique du hardware intelligent. Forte d’une levée de 40 milliards de dollars début 2025, l’entreprise est valorisée à 300 milliards. Le pari est immense, mais la mise aussi.