Saint-Étienne : Ivan Gazidis, le président de l’ASSE sous surveillance

Il a brillé à Milan et Arsenal. Mais en France, Ivan Gazidis subit sa première crise. Peut-il encore inverser la tendance à l’ASSE ?

Après trois décennies de succès dans les coulisses du football mondial, Ivan Gazidis affronte, à Saint-Étienne, son premier échec majeur. Porté par une méthode rationnelle et un leadership globalisé, l’ancien dirigeant d’Arsenal et du Milan AC doit maintenant composer avec la défiance d’un club relégué, d’un public en colère et d’un pays qui ne lui reconnaît encore aucune légitimité.

Le 17 mai 2025, l’AS Saint-Étienne est officiellement reléguée en Ligue 2 après une saison désastreuse. Moins d’un an après sa prise de fonction, Ivan Gazidis, président du club, fait face à une contestation inédite. Les critiques pleuvent : mercato mal calibré, communication opaque, gestion procédurale et froide, absence de résultats. En quelques mois, l’ancien architecte de la résurrection du Milan AC est passé du statut de visionnaire à celui d’homme isolé sous surveillance.

Ivan Gazidis, un dirigeant global face à la culture locale

Né à Johannesburg le 13 septembre 1964, Ivan Gazidis grandit dans l’ombre d’un héritage politique fort. Son père, Costa, médecin chypriote, fut emprisonné pour ses activités anti-apartheid aux côtés de l’ANC. « Ils m’ont appris que le plus important n’est pas de voir le mal, mais d’avoir le courage de l’affronter », dira plus tard Ivan. C’est cette exigence morale, chevillée à une culture juridique anglo-saxonne, qui façonnera son rapport au pouvoir.

Installé dès l’âge de 4 ans au Royaume-Uni, il fréquente la Manchester Grammar School, puis l’université d’Oxford, où il obtient un diplôme en droit tout en jouant au football universitaire. Il entame sa carrière comme avocat à Londres, avant de rejoindre les États-Unis au sein du cabinet Latham & Watkins. Le droit devient rapidement un levier pour autre chose : structurer, organiser, transformer.

Relégation de l’ASSE : pluie de critiques sur le président

En 1994, Ivan Gazidis rejoint l’équipe fondatrice de la Major League Soccer, ligue de football alors inexistante. En tant que numéro deux, il participe à tout : construction juridique, marketing, logistique, relations internationales. Il y développe une compétence rare : bâtir une institution sportive dans un marché vierge. La MLS deviendra un cas d’école du développement sportif en milieu hostile. Gazidis y apprend la force du système sur l’individu.

Nommé directeur général d’Arsenal en 2009, il arrive dans un club financièrement fragile après la construction du stade Emirates. Il y impose une rigueur budgétaire absolue, sans sacrifier la performance sportive. Sous sa direction, le club reste compétitif tout en réalisant des bénéfices annuels. Il supervise aussi la transition post-Wenger, choisissant Unai Emery comme nouvel entraîneur.

Mais cette décennie londonienne laisse un goût d’inachevé. Si Arsenal gagne trois FA Cups, il ne rivalise jamais vraiment avec les cadors européens. La gestion financière, saluée par les analystes, est perçue comme frileuse par les supporters. Le pragmatisme de Gazidis se heurte à la passion irrationnelle des stades.

Une stratégie rationnelle confrontée à l’émotion du football français

L’arrivée à Milan en 2018 représente son plus grand défi. Le club est ruiné, disloqué, à la dérive. En quatre ans, Gazidis opère un redressement spectaculaire : réduction de la masse salariale, réorganisation du recrutement, renforcement du marketing. En 2022, Milan remporte la Serie A et affiche un bilan financier à l’équilibre. Sa méthode fonctionne à plein : reconstruire avec rigueur, viser le long terme, changer la culture. Mais déjà, les tensions apparaissent. Son style managérial heurte la tradition italienne. Sa relation avec Paolo Maldini reste tendue. Il quitte Milan après la vente du club, fort d’un succès reconnu.

Le 3 juin 2024, Kilmer Sports Ventures, dirigé par Ivan Gazidis, rachète l’AS Saint-Étienne. Le club vient tout juste d’obtenir sa montée en Ligue 1. L’arrivée de Gazidis, entouré de Huss Fahmy et Jaeson Rosenfeld (anciens d’Arsenal), suscite un mélange d’espoir et de curiosité. « Nous voulons nous appuyer sur l’histoire et les valeurs du club », déclare-t-il. L’ambition affichée est claire : installer durablement l’ASSE parmi l’élite.

Le mercato estival est ambitieux : 23 millions d’euros dépensés, effectif profondément rajeuni. Mais très vite, les résultats ne suivent pas. Dall’Oglio est limogé en décembre, remplacé par Eirik Horneland. Le club termine 17e, relégué avec un goal-average catastrophique. La stratégie pensée pour le long terme se fracasse contre l’urgence du maintien.

Gazidis assume publiquement sa part de responsabilité. Mais son obstination à défendre la jeunesse et la verticalité de son projet inquiète : a-t-il sous-estimé la spécificité française ? Peut-on appliquer les mêmes méthodes à Milan et dans le Forez ?

Ivan Gazidis, entre méthode anglo-saxonne et réalité du Forez

La saison est marquée par des critiques multiples : absence médiatique, direction procédurière, burn-outs internes. « Une direction en mode SOS Fantômes », titre L’Équipe. Son style, basé sur la rationalité, la distance et l’écrit, est vécu comme une forme d’arrogance technocratique dans un club où l’affect compte autant que la stratégie.

Ivan Gazidis incarne un certain modèle de dirigeant du XXIe siècle : polyglotte, rationnel, éduqué, délié des ancrages locaux. Mais ce modèle, fondé sur la planification, l’analyse des données et la dépersonnalisation des décisions, trouve à Saint-Étienne un terrain hostile. Les attentes immédiates, la dimension populaire, la passion verte : tout échappe à sa logique.

Son management collaboratif, pensé comme réponse aux figures patriarcales du football, se heurte à une culture française plus frontale. Sa vision en strates temporelles (court, moyen, long terme) est balayée par l’urgence des résultats. À trop vouloir penser au futur, il a peut-être oublié le présent.

Malgré la relégation, Gazidis réaffirme son engagement. Il annonce une refonte du projet, des investissements accrus, et reste convaincu que l’ASSE peut redevenir un club de haut niveau. Il a connu des environnements difficiles. Il a redressé. Mais Saint-Étienne ne ressemble ni à Milan, ni à Londres, ni à New York.

À 60 ans, Ivan Gazidis joue sans doute la fin de partie de sa carrière dans un championnat qu’il ne connaît pas, au sein d’un club qu’il ne maîtrise pas encore. Il est désormais sous surveillance, non plus pour ce qu’il promet, mais pour ce qu’il accomplit. Ce n’est plus le CV qui parle, mais le terrain. Et à Geoffroy-Guichard, il faut convaincre sans powerpoint.


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