Alors que les solutions de vidéosurveillance intelligente sont massivement importées de pays tiers, une jeune pousse française s’impose comme une alternative européenne. Orasio entend reprendre le contrôle d’un secteur aussi stratégique que sensible.
Une ambition au service de l’indépendance européenne
Orasio fait figure d’exception dans le marché hyper concurrentiel de la vidéo-intelligence dominé par les géants américains, chinois et israéliens. Fondée début 2025, la start-up parisienne ambitionne de sécuriser les données critiques européennes tout en respectant les régulations du continent, notamment le RGPD et le futur AI Act. Elle développe des solutions d’intelligence artificielle capables d’analyser les flux vidéo en temps réel, à destination des forces de sécurité, des collectivités locales et des entreprises privées.
La jeune société s’est rapidement distinguée en réunissant 16 millions d’euros en amorçage auprès de trois fonds européens : Frst (France), Global Founders Capital (Allemagne) et Expeditions Fund (Pologne). Pour ses dirigeants, cette dynamique illustre l’intérêt croissant des investisseurs pour des solutions technologiques souveraines conçues en Europe.
Un trio fondateur à l’expertise transversale
À l’origine du projet, trois cofondateurs aux profils complémentaires. Florian Fournier, polytechnicien et ancien cofondateur de la licorne PayFit, a choisi de quitter l’univers des RH pour se consacrer à un projet technologique à fort impact sociétal. Il explique avoir voulu relever un défi structurant, dans un secteur crucial pour la résilience des sociétés européennes.
Arnaud Delaunay, ingénieur formé à l’X et passé par la robotique agricole chez FarmWise, pilote le développement technologique. Il apporte une connaissance approfondie des systèmes IA déployés en environnements contraints et conçoit des algorithmes capables de fonctionner sur des réseaux edge, avec une latence inférieure à 500 millisecondes. Son expérience dans le secteur bancaire l’a également sensibilisé à l’importance de modèles économiques robustes.
Quant à Fabio Gennari, ancien maître des requêtes au Conseil d’État et ex-conseiller ministériel, il veille à la conformité réglementaire des solutions. Il considère que la connaissance fine des mécanismes juridiques français et européens est indispensable pour anticiper les évolutions législatives à venir, en particulier concernant l’usage des caméras intelligentes dans l’espace public. Il précise que la technologie d’Orasio a été pensée dès le départ selon le principe de privacy by design.
Flexibilité et souveraineté
La plateforme développée par Orasio repose sur une architecture modulaire en trois couches. La première, dédiée à la perception visuelle, s’appuie sur des réseaux de neurones convolutifs capables de détecter des anomalies comportementales, des objets abandonnés ou des mouvements de foule. La seconde, sémantique, permet d’effectuer des requêtes complexes en langage naturel, à l’aide de modèles de type transformeur. L’utilisateur peut ainsi retrouver, par exemple, toutes les personnes portant un sac rouge dans une zone donnée sur une période précise.
Enfin, la couche de déploiement est conçue pour une compatibilité maximale : elle fonctionne aussi bien sur cloud souverain, sur infrastructure locale (on-premise) que sur edge computing, via des appliances certifiées par l’ANSSI. Cette flexibilité permet une intégration transparente avec les systèmes existants des clients, qu’ils relèvent du secteur public ou militaire.
Des cas d’usage concrets et mesurables
La technologie d’Orasio est déjà expérimentée sur le terrain. La ville de Lyon, qui figure parmi les premiers clients pilotes, aurait constaté une diminution de 35 % des actes de malveillance sur son réseau de transport depuis le déploiement de la solution.
Parmi les cas d’usage identifiés figurent la surveillance d’infrastructures critiques (comme la détection de départs de feu dans les centres de données ou d’activités suspectes dans les ports), la sécurité événementielle (analyse en direct des flux vidéo dans les stades pour prévenir les mouvements de foule) et l’investigation judiciaire (réduction de 90 % du temps nécessaire à l’analyse d’archives vidéo, grâce à la recherche sémantique automatisée). Les premiers tests ont permis d’atteindre un taux de faux positifs inférieur à 0,1 %, selon les données internes de l’entreprise.
Une réponse alignée avec les priorités stratégiques de l’UE
Le développement d’Orasio s’inscrit dans un contexte géopolitique tendu autour de la souveraineté technologique. En 2023, le marché mondial de l’IA vidéo était estimé à 551,7 millions de dollars. Il pourrait atteindre près de 3 milliards d’ici 2033. Pourtant, 85 % des solutions actuellement déployées en Europe sont issues de fournisseurs non-européens : Palantir et Verkada aux États-Unis, Hikvision et Dahua en Chine, BriefCam et AnyVision en Israël.
Ces technologies, bien qu’efficaces, posent plusieurs problèmes : des vulnérabilités possibles (comme des portes dérobées dans les firmwares), des non-conformités au RGPD, et des biais algorithmiques difficilement auditables. Orasio se présente comme une alternative crédible, alignée avec les objectifs du plan France 2030, qui consacre 54 milliards d’euros à la souveraineté technologique, et en phase avec le cadre réglementaire en construction autour de l’AI Act.
Les investisseurs qui soutiennent la start-up illustrent cette logique de coopération transfrontalière, à l’image d’un capital paneuropéen engagé dans la sécurisation des données sensibles.
Roadmap : scalabilité, R&D et défis d’acceptabilité
Orasio prévoit une montée en puissance rapide. La feuille de route 2025–2026 prévoit notamment des tests en conditions réelles avec l’armée de Terre dès juin 2025, une intégration au système de vidéoprotection de la ville de Paris à l’automne, puis le lancement d’une offre SaaS souveraine — baptisée Orasio Cloud — certifiée SecNumCloud au premier trimestre 2026.
L’entreprise prévoit de faire passer ses effectifs de 7 à 50 collaborateurs d’ici fin 2026. Les recrutements se concentreront sur les ingénieurs en MLops, les spécialistes en vision par ordinateur, les experts en cybersécurité industrielle et les juristes en droit du numérique. Le budget R&D, qui atteindra 12 millions d’euros sur deux ans, servira notamment à développer des puces dédiées à l’inférence vidéo, en partenariat avec le CEA-Leti.
Les dirigeants d’Orasio sont toutefois conscients que l’acceptabilité sociale des caméras intelligentes reste un sujet sensible. Ils misent sur une approche fondée sur la transparence algorithmique, la traçabilité des décisions et un dialogue ouvert avec les autorités publiques pour éviter les dérives.