Alors que la fréquentation des TGV atteint des niveaux historiques, les voyageurs dénoncent une politique tarifaire incompréhensible et inégalitaire. Entre hausses régulières, stratégies commerciales opaques et bénéfices records, la colère monte face à un service jugé de plus en plus inaccessible.
Des trains pleins, mais des usagers en colère
Prendre le train est devenu une épreuve de calcul pour de nombreux Français. « Ça fait longtemps que j’ai abandonné l’idée de comprendre les prix », souffle Sophie, usagère régulière, confrontée à des tarifs qui s’envolent à l’approche des vacances. Comme elle, beaucoup déplorent une politique tarifaire « illisible », où le coût d’un billet semble relever de la loterie.
Une étude Ifop pour la FNAUT publiée en juin 2024 révèle que seuls 50 % des Français ont pris le train au cours des douze derniers mois. Une statistique qui témoigne d’une fracture persistante, malgré des trains de plus en plus remplis. En 2024, la SNCF a transporté 130 millions de passagers en TGV, un record battu dès l’année suivante avec 163 millions de voyageurs en France et en Europe. Une progression de 6 %, qui masque mal la frustration des usagers.
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La jungle tarifaire du « yield management »
Au cœur du mécontentement, une méthode commerciale bien rodée : le yield management, ou tarification dynamique. Concrètement, les prix évoluent en fonction du remplissage des trains et de la date d’achat, avec jusqu’à vingt paliers tarifaires pour un même trajet. « Plus on commande tard, plus c’est cher », résume Michel Quidort, vice-président de la FNAUT.
L’UFC-Que Choisir a testé 24 trajets et relevé des écarts de prix allant jusqu’à 85 %. Pour un même Marseille-Strasbourg en TGV, les tarifs varient de 121 à 133 euros selon la plateforme. Une situation encore plus flagrante selon Familles Rurales, qui cite des billets vendus entre 39 et 118 euros… pour exactement le même train. Les cartes de réduction, elles aussi, manquent de lisibilité : la Carte Famille nombreuse promet entre 0 % et 34 % de remise, sans que les usagers comprennent sur quels critères.
La multiplication des plateformes aggrave le flou. SNCF Connect, Trainline, Omio, Kombo, Rome2Rio… À chaque site, son prix et ses frais supplémentaires. « Un vrai casse-tête », résume l’UFC-Que Choisir, qui dénonce un « brouillard informatif » alimentant la défiance.
Des hausses régulières malgré des bénéfices records
Depuis trois ans, les hausses tarifaires s’enchaînent : +5 % en 2023, +2,6 % en 2024, et encore +1,5 % en 2025 pour les TGV Inoui et Ouigo. Les abonnements MAX Actif et Actif+ n’y échappent pas, avec une augmentation de 4 % cette année. La SNCF justifie ces hausses par la flambée des coûts de l’énergie, des péages ferroviaires et la revalorisation des salaires. « Nos augmentations ne couvrent que la moitié des coûts engagés », défend Jean-Pierre Farandou, PDG du groupe.
Mais les résultats financiers racontent une autre histoire : 1,3 milliard d’euros de bénéfice en 2023, 1,6 milliard en 2024. « Nous avons enclenché le cercle vertueux de la croissance rentable », s’est félicité Farandou en février dernier. Un discours qui passe mal auprès des usagers, d’autant que la SNCF bénéficie d’un soutien massif des finances publiques : 20 milliards d’euros de coût pour les contribuables en 2022, selon FIPECO.
Accessibilité : des promesses loin de convaincre
La SNCF assure vouloir protéger le pouvoir d’achat des voyageurs, en garantissant qu’un billet sur deux reste à moins de 47 euros pour les TGV Inoui et Ouigo. Début 2025, l’opérateur a même lancé une opération « Prix Gelés Ouigo », avec des billets plafonnés à 19 euros. Mais ces offres promotionnelles sont limitées dans le temps et concernent une minorité de trajets.
Selon Familles Rurales, les prix flambent inévitablement à Noël et en été, périodes les plus demandées. La course aux billets bon marché, dès l’ouverture des ventes, ajoute à la frustration. « Les abonnements n’offrent aucun avantage à certains moments de l’année », déplore l’association.
Une concurrence qui commence à faire ses preuves
L’arrivée de Trenitalia et Renfe sur certaines lignes, comme Paris-Lyon, montre pourtant que des alternatives existent. Selon l’Autorité de régulation des transports (ART), l’ouverture à la concurrence a permis une baisse des prix de plus de 10 % sur cette liaison très fréquentée.
Mais l’expansion reste limitée. La compagnie espagnole Renfe accuse la SNCF et les autorités françaises de bloquer son accès à Paris-Lyon, malgré une procédure d’homologation entamée il y a trois ans. Cette situation pourrait compromettre la liaison Lyon-Barcelone, la seule directe en cinq heures. De son côté, Trenitalia prévoit de renforcer ses dessertes vers Marseille et Milan en 2025.
Quelles pistes pour une tarification plus juste ?
Les associations d’usagers réclament une simplification radicale des offres et une tarification « socialement juste ». La FNAUT plaide pour une fusion des plateformes de réservation, tandis que Familles Rurales demande un plafonnement réel des prix pour les familles et les publics fragiles.
En Île-de-France, une révolution tarifaire est prévue dès 2025, avec des tickets à prix unique (2,50 euros en métro et RER) et un Passe Liberté + étendu à toute la région. Des mesures qui pourraient inspirer le réseau national.
Mais le débat reste entier sur le financement du rail. Faut-il faire davantage contribuer les contribuables ou continuer de faire porter la charge sur les voyageurs ? Le prochain contrat de performance entre l’État et SNCF Réseau, attendu cette année, pourrait rebattre les cartes.