La startup française Alice & Bob a levé 100 millions d’euros début 2025 pour accélérer le développement d’une technologie unique au monde : les qubits dits « de chat ». Son objectif est ambitieux : construire d’ici 2030 le premier ordinateur quantique universel capable d’éliminer les erreurs, l’un des plus grands défis scientifiques et industriels du XXIe siècle.
Le pari d’une deeptech française en quête du Graal quantique
Fondée en 2020 à Paris, Alice & Bob s’est donné pour mission de résoudre l’un des principaux verrous de l’informatique quantique : la gestion des erreurs. Contrairement aux ordinateurs classiques, les machines quantiques sont extrêmement sensibles aux perturbations extérieures, ce qui compromet la fiabilité des calculs à grande échelle.
La startup mise sur une technologie issue de la recherche française : les qubits dits « de chat », en référence au célèbre paradoxe du chat de Schrödinger. Ces qubits seraient capables de résister naturellement à l’un des deux types majeurs d’erreurs, les « bit-flips », sans nécessiter une augmentation massive des ressources matérielles. Cette promesse technologique pourrait permettre à Alice & Bob de se positionner parmi les leaders mondiaux.
A LIRE AUSSI
Pasqal : le pari français de l’informatique quantique
Une technologie de rupture saluée par la communauté scientifique
Contrairement aux approches traditionnelles, les qubits de chat d’Alice & Bob se distinguent par une stabilité et une durée de vie record. En mars 2025, l’entreprise a annoncé avoir franchi une étape majeure avec des qubits dits « compressés », qui amélioreraient par un facteur 160 leur protection contre les erreurs, atteignant une durée de vie de 22 secondes. Un résultat qui place la startup devant des géants comme Google ou IBM sur cet indicateur stratégique.
La reconnaissance de cette technologie dépasse les frontières françaises. Amazon Web Services s’est déjà inspiré de ce concept pour concevoir sa propre puce Ocelot. De son côté, Alice & Bob a finalisé fin 2023 son premier processeur de 16 qubits, Helium 1, conçu pour exécuter un code de correction d’erreur, validant ainsi sa capacité à passer de la théorie à l’application industrielle.
L’entreprise avance également que son architecture permettrait de diviser par près de 60 les besoins matériels pour exécuter des algorithmes quantiques majeurs comme celui de Shor, réduisant le nombre de qubits nécessaires de 20 millions à environ 350 000.
Une réussite issue de la recherche publique française
À l’origine d’Alice & Bob se trouvent Théau Peronnin et Raphaël Lescanne, deux chercheurs formés à l’ENS Lyon et à l’ENS Paris. Leurs travaux, publiés dans la revue Nature Physics, ont jeté les bases scientifiques de l’entreprise, créée en lien étroit avec des laboratoires de référence comme l’Inria, le CNRS, Mines Paris et le CEA.
La startup bénéficie d’un fort soutien public, notamment via les dispositifs d’innovation du gouvernement français. Elle emploie aujourd’hui plus de 80 collaborateurs entre Paris et Boston, dont un tiers sont titulaires d’un doctorat. Son implantation aux États-Unis lui permet de se rapprocher des grands acteurs de l’écosystème quantique nord-américain.
Une levée de fonds record pour passer à l’échelle
Le 28 janvier 2025, Alice & Bob a levé 100 millions d’euros lors d’un tour de table mené par Future French Champions, AVP (Axa Venture Partners) et Bpifrance, avec la participation de fonds publics européens et régionaux. Cette levée porte à 130 millions d’euros le total des financements obtenus depuis la création de l’entreprise.
Selon Alice & Bob, cette somme doit permettre d’accélérer le passage à l’échelle industrielle. La moitié des fonds est dédiée à la construction d’un laboratoire de 4 000 m² à Paris, dont l’inauguration a eu lieu en mai 2025. L’autre moitié vise à doubler les effectifs pour atteindre 200 personnes d’ici fin 2025.
Un laboratoire de pointe au service de l’Europe
Installé à Paris, ce centre industriel représente un investissement stratégique de 50 millions d’euros. Il est conçu pour intégrer l’ensemble de la chaîne de production des processeurs quantiques, avec une salle blanche de nanofabrication et une ferme cryogénique dotée de 20 réfrigérateurs fournis par le fabricant finlandais Bluefors.
David Gunnarson, directeur technologique de Bluefors, a indiqué que la technologie des qubits de chat développée par Alice & Bob représente, selon lui, une application particulièrement prometteuse pour les systèmes cryogéniques produits par son entreprise.
Alice & Bob a également conclu un partenariat avec Quantum Machines, une société israélienne spécialisée dans les systèmes de contrôle hybride, afin d’intégrer des solutions combinant calcul classique et quantique.
Ce laboratoire doit permettre de développer une nouvelle génération de processeurs, nommés Lithium, Béryllium et Graphène. Ce dernier vise les 100 qubits logiques corrigés à l’horizon 2030, selon la feuille de route présentée par Alice & Bob.
Une ambition mondiale dans un marché en pleine effervescence
En plus de son développement technologique, Alice & Bob commence à proposer une offre commerciale baptisée « The Box », destinée à aider les entreprises à explorer des cas d’usage du quantique. L’entreprise affirme vouloir se positionner comme un acteur mondial face à des géants comme Google, IBM ou Amazon.
Elie Girard, président exécutif d’Alice & Bob et ancien PDG d’Atos, estime que l’informatique quantique est prête à transformer de nombreuses industries, mais que la complexité technique constitue encore une barrière majeure. Il considère que l’approche d’Alice & Bob pourrait permettre de franchir cette étape.
Le marché mondial est en pleine croissance, avec une valorisation estimée à 65 milliards de dollars d’ici 2030 selon Bpifrance. En France, Alice & Bob évolue aux côtés d’autres startups comme Pasqal, Quobly, Quandela ou C12, que le gouvernement ambitionne de fédérer sous la bannière « French Quantum Team » dans le cadre du plan France 2030.
Une carte maîtresse pour la souveraineté technologique européenne
Pour Théau Peronnin, co-fondateur et CEO d’Alice & Bob, l’entreprise est désormais entrée dans une nouvelle phase : celle de la construction d’un ordinateur quantique capable de produire des résultats concrets pour l’industrie. Selon lui, cet objectif passe par une architecture tolérante aux fautes, permettant de réduire l’empreinte matérielle et énergétique des ordinateurs quantiques.
L’entreprise affirme que son laboratoire parisien pourrait devenir une infrastructure stratégique pour l’industrie européenne, servant de modèle pour une filière industrielle souveraine à l’échelle du continent.