Alors qu’il s’apprête à fêter ses 73 ans le 23 mai prochain, Michel-Édouard Leclerc, figure incontournable de la grande distribution française, n’a toujours pas désigné de successeur. Une incertitude qui plane sur l’avenir du groupe E.Leclerc, désormais confronté à une pression concurrentielle inédite et à des défis stratégiques majeurs. Le distributeur est-il prêt à tourner la page de celui qui l’a incarné pendant plus de quarante ans ?
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Un leader à part dans la distribution française
Fils d’Édouard Leclerc, fondateur de l’enseigne en 1949, Michel-Édouard Leclerc a grandi dans l’univers du commerce. Diplômé de Sciences Po Paris, il rejoint l’entreprise familiale à 21 ans, apportant une vision politique et sociale au modèle économique de son père. Très vite, il devient le porte-voix du combat pour le pouvoir d’achat, n’hésitant pas à s’opposer frontalement aux industriels et aux pouvoirs publics.
Au fil des années, Michel-Édouard Leclerc s’impose comme une figure médiatique omniprésente. Présent sur les plateaux de télévision, à la radio, et dans la presse, il construit une image de « défenseur des consommateurs » que ses partisans saluent, mais que ses détracteurs dénoncent comme une stratégie de communication bien rodée. Icône clivante, il reste, qu’on l’approuve ou non, une voix écoutée dans le débat public.
Leclerc : un empire bâti sur le pouvoir d’achat
Sous son impulsion, E.Leclerc est devenu le deuxième distributeur français, fort d’un réseau de plus de 700 magasins en France et à l’international. Le groupe revendique un chiffre d’affaires de 49,9 milliards d’euros en 2024, en hausse de 2,6 % par rapport à l’année précédente. Selon les données Kantar, ses parts de marché ont progressé de 24,1 % à 24,4 % entre janvier 2024 et janvier 2025.
Le modèle Leclerc repose sur une stratégie historique : défendre le pouvoir d’achat en proposant des prix plus bas que ses concurrents, grâce à l’indépendance de ses magasins et à une politique d’achat agressive. Une méthode qui a longtemps fait ses preuves.
Un leadership fragilisé par la concurrence
Mais la dynamique semble aujourd’hui marquer le pas. En mars 2025, E.Leclerc a enregistré sa première baisse de parts de marché en trois ans, passant à 23,7 %. Signe d’un essoufflement ? L’écart avec Carrefour s’est réduit, passant de 4,8 à 2,8 points en un an. Pendant ce temps, des concurrents comme Coopérative U ont gagné du terrain grâce à des alliances stratégiques.
E.Leclerc reste leader, mais son avance se fragilise. Le distributeur doit désormais faire face à une concurrence plus structurée et à des consommateurs de plus en plus volatils.
Face aux défis, une nouvelle feuille de route
Pour rester dans la course, le groupe a lancé plusieurs initiatives stratégiques majeures.
Accélérer la transition écologique. E.Leclerc s’est fixé un objectif ambitieux : réduire de 50 % ses émissions de CO2 d’ici 2035. 42 % des camions des transporteurs régionaux roulent déjà au biocarburant HVO100. Le groupe a également lancé « Carbon’Info », un outil destiné à informer les clients sur l’empreinte carbone des produits.
Diversifier les activités. Autre axe stratégique : la diversification. E.Leclerc s’est lancé sur le marché de l’électricité verte pour les particuliers, avec l’objectif d’atteindre trois millions de clients d’ici fin 2025. Une offre présentée comme « la moins chère du marché », fidèle à la promesse historique de l’enseigne.
Maintenir la pression sur les prix. Alors que l’inflation pèse sur le pouvoir d’achat, Michel-Édouard Leclerc reste actif sur le front des prix. Mais il prévient : une baisse de 20 à 30 % dans les mois à venir est illusoire. Le dirigeant pointe la hausse des coûts agricoles, de l’énergie, des transports, et les effets durables des crises sanitaires et géopolitiques. Le groupe entame une nouvelle série de négociations tendues avec l’industrie agroalimentaire, fidèle à sa réputation de « poil à gratter » des grandes marques.
Qui pour incarner le Leclerc de demain ?
La question de la succession reste entière. Michel-Édouard Leclerc, qui ne détient plus de fonction salariée depuis près de dix ans, conserve une influence majeure sur la stratégie et la communication du groupe. Officiellement, la direction opérationnelle est assurée par un triumvirat composé de Pascal Baudoin, Karine Jaud et Philippe Michaud. Mais leur faible notoriété interroge sur leur capacité à incarner la marque à l’échelle nationale.
Steve Houliez, spécialiste du numérique, émerge également comme un profil clé pour accompagner la transformation digitale du groupe, un enjeu stratégique à l’heure où le e-commerce et les nouveaux canaux de consommation bouleversent le secteur.