Cette incroyable escroquerie immobilière qui a ruiné des centaines d’investisseurs

Apollonia, la plus grande escroquerie immobilière française, est enfin jugée à Marseille. Dix-sept ans après les premières plaintes, ce procès hors norme dévoile une fraude d’un milliard d’euros, impliquant 15 prévenus, 26 banques et 762 investisseurs ruinés.

C’est un dossier d’une ampleur exceptionnelle qui s’invite devant les juges marseillais. Déjà qualifiée par des parlementaires en 2012 comme « la plus grande escroquerie immobilière et financière jamais jugée en France », elle oppose des centaines d’investisseurs floués et 26 banques à quinze prévenus soupçonnés d’avoir orchestré une fraude massive.

Depuis le 31 mars 2025, la 6ᵉ chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Marseille juge cette affaire dans la salle spéciale dédiée aux grands procès, sur le site de la Caserne du Muy. Le verdict est attendu le 6 juin, au terme d’un marathon judiciaire qui mobilise 762 parties civiles et 110 avocats.

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Jean Badache, commerçant devenu gourou de l’investissement

Au centre du procès, Moussa-Jean Badache, 70 ans. Ancien commerçant, il est le fondateur d’Apollonia, une société de conseil en investissement immobilier installée à Aix-en-Provence. Dès le début des années 2000, il bâtit un empire en promettant à ses clients, pour la plupart des professionnels de santé, de se constituer un patrimoine immobilier conséquent sans apport personnel grâce à des montages fiscaux attractifs.

Charismatique, à l’aise en public, il entraîne avec lui son épouse, son fils, des commerciaux et des professionnels du droit dans ce qu’il présente comme une activité parfaitement légale. Depuis le début du procès, il persiste à nier toute responsabilité, affirmant qu’il n’aurait ni incité ni laissé faire les pratiques frauduleuses reprochées à ses équipes. Il se décrit comme un simple vendeur, parfois trop bavard, mais toujours persuadé de la légalité du montage.

Jean Badache garde une attitude détendue tout au long des audiences. Les magistrats relèvent qu’il refuse systématiquement de s’asseoir lors de ses auditions, malgré les propositions de la présidente du tribunal. L’image qu’il cultivait à l’époque est également rappelée à la barre : ses clients le percevaient comme un expert incontournable, présenté comme un dirigeant pressé dont il fallait « saisir » quelques minutes d’attention.

La machine Apollonia : une fraude industrialisée

Le modèle d’Apollonia reposait sur le statut de Loueur en Meublé Professionnel (LMP), qui permettait de récupérer la TVA et de bénéficier d’avantages fiscaux. Pour en tirer pleinement profit, les clients devaient atteindre un seuil de loyers élevé, les incitant à multiplier les acquisitions.

Les cibles étaient choisies avec soin : principalement des médecins, dentistes, chirurgiens ou kinésithérapeutes, dont les revenus stables et élevés rendaient les dossiers attractifs. En revanche, les professions jugées trop méfiantes, comme les avocats ou les experts-comptables, étaient volontairement écartées.

Apollonia vendait un « package clé en main », incluant la sélection des biens, souvent en état futur d’achèvement, et le montage des financements. Les clients signaient des procurations chez des notaires, permettant à la société de gérer toutes les démarches en leur nom.

Dans les coulisses, Apollonia multipliait les demandes de prêts auprès de plusieurs banques, chacune ignorant que les autres étaient sollicitées en parallèle. Cette pratique permettait d’empiler les crédits à l’insu des investisseurs, qui se retrouvaient avec des dettes très largement supérieures à leur capacité réelle de remboursement.

L’enquête a mis au jour des pratiques systématiques de falsification de relevés bancaires et de documents attestant des revenus. Les prix des biens étaient volontairement surestimés, intégrant des frais et des commissions cachés. Les équipes d’Apollonia interceptaient même les offres de prêt envoyées par les banques afin que les clients ne découvrent pas la véritable ampleur de leur endettement.

« Ce procès révèle une mécanique industrielle de l’escroquerie, où chaque acteur, du commercial au notaire, a joué sa partition pour convaincre des professionnels honnêtes qu’ils sécurisaient leur avenir, alors qu’on les poussait vers la faillite », dénonce l’un des avocats des parties civiles.

Le cercle complice : salariés, notaires et banques

Sur le banc des prévenus, plusieurs salariés d’Apollonia reconnaissent avoir modifié des documents, expliquant qu’ils agissaient sous pression. Trois notaires sont également jugés pour avoir validé en masse les actes d’achat, en réalisant une véritable tournée nationale pour recueillir les procurations. Selon l’enquête, l’un d’eux aurait concentré à lui seul plus de la moitié des 2 000 procurations signées.

Ces professionnels disposaient pourtant d’une vue d’ensemble sur les acquisitions et les crédits contractés par les clients. Ils n’auraient jamais alerté les acheteurs sur les risques d’endettement massif.

De leur côté, les banques se présentent comme victimes, affirmant avoir été trompées par des dossiers falsifiés. Mais les parties civiles les accusent d’avoir accordé les crédits avec une légèreté coupable, en fermant les yeux sur des incohérences manifestes.

Les victimes : d’investisseurs confiants à ruinés en détresse

Derrière les montages financiers, des centaines de familles se disent aujourd’hui ruinées. Médecins, chirurgiens, dentistes ou kinésithérapeutes expliquent avoir fait confiance à une opération présentée comme sécurisée, encadrée par des professionnels du droit et de la finance. Beaucoup disent avoir sombré dans la dépression, certains évoquent même des pensées suicidaires.

« On nous a vendu une retraite en or, encadrée par des professionnels de confiance. Aujourd’hui, je vis avec une dette que je ne rembourserai jamais de ma vie. Ce qui devait sécuriser mon avenir a détruit ma famille », déplore un médecin généraliste, l’un des nombreux plaignants.

« Je croyais investir intelligemment avec des garanties solides, notaires, banques, avocats… On n’imagine jamais que tout ce système puisse être complice ou défaillant à ce point. On a été piégés du début à la fin », témoigne un chirurgien-dentiste, lui aussi victime du montage.

Une fortune flamboyante, des biens saisis

Entre 1997 et 2009, Apollonia aurait commercialisé plus de 5 300 biens immobiliers, générant près de 942 millions d’euros de chiffre d’affaires. La société prélevait jusqu’à 15 % de commission sur chaque opération.

Jean Badache et son entourage menaient un train de vie luxueux : bureaux prestigieux, voitures de luxe, séjours sur des îles privées. Il aurait lui-même reconnu avoir acheté en une seule matinée un chalet en Suisse pour six millions d’euros et une Porsche, se vantant aussi d’avoir commandé plusieurs centaines de milliers d’euros de vin et de caviar pour les fêtes.

L’enquête a permis de saisir plusieurs biens immobiliers en France et à l’étranger, ainsi que plus de 7,5 millions d’euros sur des comptes bancaires en France, en Suisse, au Luxembourg et au Maroc. Libéré après trois mois de détention contre une caution de cinq millions d’euros, Jean Badache se présente désormais comme ruiné.

Depuis le début des débats, Jean Badache maintient qu’il n’a jamais eu l’intention de frauder. Il affirme avoir été dépassé par le système qu’il avait mis en place, rejetant tour à tour la responsabilité sur ses salariés, les notaires, les banques, et même sur certaines victimes, qu’il accuse d’avoir mal utilisé les remboursements de TVA.

Lorsqu’il est confronté aux éléments les plus précis du dossier, il répond souvent qu’il ne se souvient plus des détails, expliquant que près de vingt ans se sont écoulés et qu’il lui est impossible de retrouver la mémoire sur certains points.

Une affaire qui interroge les failles systémiques

Ce procès dépasse le simple cadre de la responsabilité pénale des quinze prévenus. Il met en lumière les défaillances d’un système bancaire, notarial et fiscal qui a permis à une telle escroquerie de se développer sur plus d’une décennie, sans contrôle suffisant.

Alors que les parties civiles commencent à faire entendre leurs voix devant le tribunal, ce procès pourrait bien devenir un cas d’école. Il pose la question de la responsabilité partagée entre les acteurs économiques et appelle, au-delà du verdict attendu le 6 juin, à un renforcement des pratiques de vigilance et d’éthique dans le secteur immobilier, bancaire et juridique. Un enjeu majeur pour éviter que d’autres affaires similaires ne viennent, à l’avenir, piéger de nouveaux investisseurs.


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